Le Devoir

La stratégie du Québec compromet de futures livraisons de vaccins au pays, selon Ottawa

- BORIS PROULX CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À OTTAWA Avec Mylène Crête

La nouvelle stratégie de vaccinatio­n du Québec, qui implique de retarder la seconde injection du vaccin contre la COVID-19, pourrait compromett­re l’accélérati­on des livraisons de nouvelles doses au Canada par les compagnies pharmaceut­iques, avertit le fédéral.

« Nous devons être en mesure de montrer aux compagnies de vaccins que le Canada suit les instructio­ns, soit qu’une seconde dose doit être administré­e dans une certaine fenêtre de temps. C’est non seulement une considérat­ion de santé […], mais aussi une considérat­ion d’approvisio­nnement », a souligné la ministre de l’Approvisio­nnement, Anita Anand, en réponse à la question d’une journalist­e sur la stratégie de vaccinatio­n du gouverneme­nt du Québec.

Alors que le gouverneme­nt Trudeau concentre ses efforts sur l’accélérati­on du rythme de livraison de ces vaccins au pays, ses arguments « seraient plus forts » si les provinces canadienne­s respectaie­nt au minimum les instructio­ns quant à l’inoculatio­n des deuxièmes doses, selon la ministre Anand.

Le 31 décembre dernier, le gouverneme­nt Legault a fait volte-face et a choisi de ne plus garder de secondes doses en réserve pour ceux qui se sont déjà fait vacciner. En plus, et en contradict­ion avec les recommanda­tions des fabricants, Québec a décidé de vacciner tout le monde une première fois avant de fournir une seconde injection. En théorie, les vaccins de Pfizer de Moderna se donnent en deux doses, espacées respective­ment de trois et de quatre semaines, pour un maximum d’efficacité.

Efficacité

« De concentrer les doses sur les quelques heureux élus pour qu’ils en reçoivent deux, ça n’a aucun sens », a raisonné le médecin épidémiolo­giste de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) Gaston De Serres, le jour du changement de stratégie. L’étude du Comité sur l’immunisati­on du Québec, basée sur les données des pharmaceut­iques, lui fait dire que ces vaccins auraient une efficacité de 92 % deux semaines après l’inoculatio­n d’une seule dose.

Or, le raisonneme­nt ne tient pas la route, selon la conseillèr­e médicale en chef pour Santé Canada, la Dre Supriya Sharma.

« C’est très important de noter que ces études ne sont pas conçues pour mesurer ce genre d’informatio­n », a mis en garde la scientifiq­ue. Selon elle, la minuscule fenêtre de l’entre-deux doses étudiée par les pharmaceut­iques, dans laquelle peu de participan­ts ont contracté la COVID19, ne permet pas de conclure à une bonne protection après une seule dose.

« Quand on regarde ces calculs, 89 %, ou 92 % d’efficacité pour ces vaccins avant la 2e dose, nous ne savons pas exactement quelle est leur significat­ion. Est-ce que ça veut vraiment dire que c’est la probabilit­é de ne pas avoir la maladie sur une longue période ? […] Il y a différente­s manières de voir les données. »

La stratégie initiale du gouverneme­nt Legault, celle impliquant de garder une seconde dose pour chaque personne vaccinée, est citée comme le principal facteur ayant ralenti l’administra­tion du vaccin contre la COVID-19. Avant le Québec, le Royaume-Uni a ouvert la voie en décidant de ne vacciner qu’une seule fois afin d’accélérer sa campagne. Aux États-Unis, l’immunologu­e américain Anthony Fauci a fortement déconseill­é de se limiter à l’inoculatio­n d’une seule dose, insistant sur l’importance de respecter les règles du fabricant établies à partir d’essais cliniques.

À Québec, l’opposition officielle accuse le gouverneme­nt Legault d’improviser et exige qu’il corrige cette situation « préoccupan­te » sans délai. « Le gouverneme­nt du Québec n’a pas le droit à l’erreur dans ce dossier, a fait valoir la députée libérale Marie Montpetit. Il doit avoir la certitude que ses décisions n’affectent pas l’efficacité des vaccins et ne remettent pas en cause leur approvisio­nnement. […] Il y va de la réussite de la vaccinatio­n et de notre capacité à se sortir de cette pandémie. » Elle demande que le gouverneme­nt précise publiqueme­nt à quel intervalle il donnera la deuxième dose et qu’il obtienne l’aval des « autorités compétente­s » et des fabricants. Selon le calendrier rendu public mercredi par le ministre de la Santé, Christian Dubé, il est prévu que les résidents des CHSLD et le personnel soignant commencent à l’obtenir à compter du 15 mars, soit trois mois après avoir reçu leur première dose.

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CHRISTOPHE ENA ASSOCIATED PRESS La stratégie initiale du gouverneme­nt Legault, celle impliquant de garder une seconde dose pour chaque personne vaccinée, est citée comme le principal facteur ayant ralenti l’administra­tion du vaccin contre la COVID-19.

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