Le Devoir

Farah Alibay

Ingénieure de la NASA aux commandes du robot Perseveran­ce

- ALEXIS RIOPEL

Elle ne quittera pas le confort de sa Californie adoptive, mais Farah Alibay vivra l’année 2021 au rythme de Mars. Aux commandes du robot Perseveran­ce, qui doit se poser sur la planète rouge le 18 février, l’ingénieure québécoise espère faire partie de la première équipe à trouver les signes d’une vie éteinte sur notre planète voisine. Et pour cela, elle devra ajuster sa montre et équiper sa chambre à coucher de rideaux très épais.

« C’est spécial : on va vivre selon l’heure de Mars ! explique la jeune trentenair­e. Il faut qu’on travaille pendant la nuit martienne. Et ce qui est encore plus difficile, c’est que les journées sur Mars sont un petit peu plus longues que les journées sur Terre. » Elles durent 24 heures, 39 minutes et 35 secondes, pour être plus précis. Si bien que l’horaire de la flamboyant­e ingénieure va se décaler d’une quarantain­e de minutes par jour… « Je vais perdre quelques jours de ma vie en vivant à l’heure de Mars », dit-elle en rigolant.

Farah Alibay jouera un rôle crucial dans cette mission baptisée Mars 2020. Chaque nuit (martienne), elle élaborera un plan de match précis pour l’astromobil­e. Le lendemain, le robot exécutera la liste de commandes à la lettre. Un délai de 15 à 30 minutes dans les échanges radio (aller-retour) empêche un téléguidag­e en direct. La Québécoise, employée du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA depuis 2014, se chargera d’intégrer les conseils de ses collègues spécialist­es de l’imagerie, de la communicat­ion ou de la géologie dans un programme cohérent.

Pendant au moins une année martienne (687 jours terriens), Perseveran­ce bâtira une collection minéralogi­que. L’astromobil­e atterrira dans le cratère Jezero, à 18° au nord de l’équateur, où une rivière des temps passés a déposé une accumulati­on de sédiments. Des roches de ce delta pourraient maintenant cacher les traces d’une vie microbienn­e remontant à deux milliards d’années, quand Mars possédait de l’eau liquide, une atmosphère et un champ magnétique.

Si la collecte d’échantillo­ns est fructueuse, la prochaine phase de la mission sera déclenchée : envoyer un second engin spatial qui ira récolter les roches et les ramènera sur Terre au début des années 2030 pour des analyses plus poussées. Les scientifiq­ues des étoiles rêvent d’accomplir cet exploit depuis une cinquantai­ne d’années, mais la technologi­e nécessaire vient tout juste d’arriver à maturité.

« Je dis souvent aux gens : oui, c’est vraiment cool ce que font les astronaute­s… mais en fait, ils ne font que retourner à des endroits où nous sommes déjà allés [avec des engins robotiques] ! » dit Farah Alibay. Par l’entremise des astromobil­es et des sondes, les possibilit­és sont sidérales. Parallèlem­ent à la mission martienne, elle espère participer dans les prochaines années à une expédition robotique sur Europe, une lune de Jupiter, dont la surface gelée cache certaineme­nt un océan subglaciai­re. Et qui dit eau dit peut-être vie.

« Dans ma carrière, je veux faire partie d’une équipe qui va trouver de la vie dans notre système solaire », énonce l’ambitieuse ingénieure formée à l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, et au Massachuse­tts Institute of Technology (MIT), aux États-Unis. « On vit une renaissanc­e de l’exploratio­n de l’espace. La technologi­e a énormément avancé, je pense que l’intérêt du public aussi est là. » S’il y a bel et bien eu de la vie ailleurs dans notre système solaire, Farah Alibay a bon espoir que nous en détections des traces dans les prochaines décennies.

La fille d’immigrants de Madagascar, qui a grandi dans Lanaudière, affirme que la NASA fait énormément d’efforts pour inclure des femmes et des membres des minorités visibles dans ses rangs. « C’est beaucoup plus intéressan­t de travailler avec des personnes de différents héritages, qui ont différente­s approches pour résoudre des problèmes. Après tout, l’ingénierie, c’est ça : résoudre des problèmes. Avec des équipes diverses, on réussit mieux cet objectif », dit celle qui rêve de profiter d’une coupure radio provoquée par le passage de Mars derrière le Soleil, en septembre 2021, pour venir voir sa famille au Québec.

L’astronaute Julie Payette a été un modèle déterminan­t pour Farah Alibay. Enchaînant maintenant les entrevues — surtout auprès des médias québécois, mais aussi américains —, c’est elle qui est en train de devenir une inspiratio­n pour les jeunes. En décembre dernier, elle faisait partie des nommés du gala Mammouth 2020. « L’une des missions que je me suis données, c’est de montrer qu’on n’a pas besoin d’être un homme blanc sérieux pour travailler sur de grosses missions spatiales. Une fille brune de Joliette avec les cheveux rouges, ça peut aussi conduire des robots sur Mars ! »

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JPL/CALTECH L’ingénieure Farah Alibay jouera un rôle crucial dans la mission de la NASA baptisée Mars 2020.

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