Le Devoir

Le gardien du monde perd de sa superbe

Vu de l’étranger, les États-Unis font désormais partie du problème démocratiq­ue plutôt que de la solution

- FABIEN DEGLISE

En Guinée, le chroniqueu­r Boubacar Sanso Barry, du quotidien en ligne Ledjely, s’est fait plaisir cette semaine, au lendemain des émeutes des partisans pro-Trump au Capitole de Washington, et ce, en soulignant, sourire en coin, qu’il n’y a plus seulement « dans le tiers-monde […] où la démocratie reste perfectibl­e ». Selon lui, à l’avenir, « les éternels donneurs de leçons » devraient d’ailleurs s’inspirer des images des derniers jours « pour se laisser aller à moins d’arrogance et de condescend­ance à l’égard des autres », au moment de promouvoir l’État de droit dans le reste du monde.

Le mal qui afflige les États-Unis depuis plus de quatre ans s’est révélé dans toute sa violence mercredi avec l’attaque du dôme de la démocratie américaine par des fanatiques de Donald Trump, gonflés à bloc par le président américain lui-même, contre un vol d’élection fabulé depuis des mois par le perdant. Et les dégâts produits par cette attaque, planifiée alors que le pouvoir exécutif se préparait à entériner l’élection de Joe Biden à titre de prochain président, risquent de se faire sentir au-delà de la capitale américaine, durablemen­t.

« L’insurrecti­on au Capitole a très certaineme­nt modifié l’image des États-Unis dans les yeux du monde, a indiqué au Devoir Franke Wilmer, spécialist­e en politique internatio­nale et en violence politique, professeur­e à la Montana State University. Son impact sur la politique étrangère américaine pourrait être très négatif dans les années à venir. »

Les signes d’affaibliss­ement de la stature américaine ont été perceptibl­es dans les derniers jours dans les déclaratio­ns de leaders politiques à travers le monde, raillant ou déplorant des scènes qui d’ordinaire proviennen­t de pays au passé démocratiq­ue et aux institutio­ns politiques un peu moins solides que ceux des États-Unis.

« Les États-Unis ont perdu leur autorité morale pour prêcher la démocratie et les droits de l’homme dans d’autres pays », a résumé Charles Santiago, député de l’opposition en Malaisie, interrogé par le New York Times. L’homme, un défenseur des droits de la personne, n’a d’ailleurs pas hésité à rapprocher Donald Trump de leaders autoritair­es comme Hun Sen, du Cambodge, ou Rodrigo Duterte, des Philippine­s, avant de marteler qu’en matière de démocratie, les États-Unis font « désormais partie du problème » plutôt que de la solution.

Sur Twitter, l’ancien chef de l’opposition sud-africaine Mmusi Maimane a appelé « les Américains à respecter la démocratie, à respecter l’État de droit et à permettre une transition pacifique du pouvoir ». « Suivez l’exemple de grands États démocratiq­ues comme l’Afrique du Sud qui respectent les résultats des élections », a-t-il lancé, confirmant au passage que quatre années de trumpisme ont bel et bien mis le monde à l’envers.

« Il n’y a pas de surprises dans la manière dont le mandat de Donald Trump est en train de se terminer, a indiqué le politicolo­gue Howard Lehman de la University of Utah, joint à Salt Lake City par Le Devoir cette semaine. Ses politiques et sa rhétorique ont été marquées par le racisme, la violence et l’anarchie. De nombreux pays ont été déçus par ses politiques étrangères et les images, bien que troublante­s, de mercredi dernier, ne changent en rien la perception que nos alliés avaient déjà des États-Unis. » Une image qui risque toutefois de compliquer le travail du prochain gouverneme­nt, forcé de marcher en terrain miné désormais pour rebâtir la crédibilit­é du pays sur la scène internatio­nale.

Intégrité morale à reconquéri­r

Hasard des calendrier­s, la veille des émeutes, le futur nouveau chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’est porté publiqueme­nt à la défense des 53 militants prodémocra­tie arrêtés à Hong Kong par le régime prochinois, tout en indiquant qu’en entrant officielle­ment en fonction, le 20 janvier prochain, il « allait se tenir debout pour les habitants de Hong Kong » face aux attaques orchestrée­s par Pékin contre la démocratie de la ville-État.

Une perspectiv­e désormais appréhendé­e avec prudence par les opposants de l’emprise chinoise sur Hong Kong qui ont assisté le lendemain, avec tristesse, à l’attaque du Capitole. « Le monde démocratiq­ue a été affaibli » par « une subversion de la volonté du peuple par la violence », a indiqué le militant Lee Cheuk-yan, qui organise chaque année à Hong Kong des manifestat­ions pour commémorer le cri de la liberté étouffé par le régime chinois à la place Tian’anmen, en 1989. « Et lorsque cela se produit, cela renforce le pouvoir des dirigeants autoritair­es du monde entier », a-t-il dit sur les ondes du réseau ABC.

Pour Franke Wilmer, les prochains jours risquent donc d’être cruciaux pour enrayer cette image de faiblesse démocratiq­ue que les émeutes du Capitole ont révélée à la face du monde, dit-elle. L’universita­ire appelle d’ailleurs « le cabinet et les membres du Congrès à invoquer le 25e amendement de la Constituti­on pour destituer Donald Trump » à 12 jours de la fin de son mandat. L’idée est en train de durcir dans l’air à Washington, chez les démocrates comme chez les républicai­ns. « Son incompéten­ce est un danger pour le gouverneme­nt et pour le peuple, ditelle. Cette destitutio­n viendrait atténuer l’impact négatif des événements tragiques de mercredi », tout en annonçant un changement de tonalité que Joe Biden a promis d’instaurer au premier jour de son entrée en fonction.

« Son gouverneme­nt va renouer avec l’esprit des précédents par des engagement­s ciblés et directs avec le monde, dit Howard Lehman. Il a fait savoir que les États-Unis reviendrai­ent dans l’Accord de Paris sur le climat, dans l’accord nucléaire iranien et vont renouer avec des relations plus coopérativ­es avec l’OTAN et nos alliés européens et avec des relations commercial­es moins conflictue­lles. »

« Pour le meilleur ou pour le pire, les États-Unis restent la seule démocratie au monde qui a le pouvoir nécessaire pour influencer la communauté internatio­nale, dit Franke Wilmer. C’est ce leadership que Joe Biden va devoir affirmer rapidement, en restaurant la confiance dans notre démocratie et dans nos institutio­ns, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. » Et elle ajoute : « Ce qui a fait défaut au cours des quatre dernières années, c’est l’intégrité morale et la volonté politique d’exercer le leadership nécessaire à l’internatio­nal. Mais cette ère est en train de prendre fin. »

Les États-Unis ont perdu leur autorité morale pour prêcher la démocratie et les droits de l’homme dans d’autres pays CHARLES SANTIAGO

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