EN VSD CETTE SEMAINE – IMAGINAIRE, FUGUE ET COMBAT
Pour les grands espaces
Alors que le Québec s’impose un second confinement encore plus strict, quoi de mieux, en guise de baume, qu’un film conjuguant grands espaces, aventures et récit initiatique sur fond d’amitié solidaire ? C’est exactement ce que propose Dans les forêts de Sibérie, un long métrage de Safy Nebbou
(L’empreinte de l’ange, Celle que vous
croyez) librement inspiré par la vie de l’écrivain Sylvain Tesson. Las de la frénésie du monde, le protagoniste, rebaptisé Teddy, plaque tout pour s’installer sur les rives gelées du lac Baïkal. Évidemment, une vision quelque peu romantique de la réclusion sauvage l’a mal préparé aux rigueurs du climat. C’est ainsi que par un jour de blizzard, Teddy est sauvé par un fuyard russe qui a trouvé refuge en ces contrées belles, mais impitoyables. La musique d’Ibrahim Maalouf a valu au film un César, mais la direction photo de Gilles Porte est tout aussi formidable.
Dans les forêts de Sibérie (V.O.) Gratuit à tv5unis.ca
Ode à la création
La neige est très présente également dans le fort différent Wonder Boys, l’un des meilleurs films de Curtis Hanson
(L.A. Confidential). C’est beaucoup grâce au scénario assez génial du vétéran Steve Kloves (la saga Harry
Potter), tiré d’un roman de Michael Chabon. Roman usant avec brio de la bonne vieille technique de la mise en abyme puisque le héros Grady Tripp (Michael Douglas, merveilleux) est luimême un écrivain affairé à la rédaction d’un nouveau roman. Or, rien ne va plus pour ce professeur de littérature, car des années après un premier roman encensé, il demeure incapable de terminer son second opus — qui a dépassé le cap des 2000 pages.
En un écho à sa vie professionnelle en roue libre, sa vie personnelle est tout aussi chaotique, entre autres par la faute de son plus brillant étudiant (Tobey Maguire). Empreint de douce folie et magnifié par la direction photo de Dante Spinotti, ce film éminemment savoureux est une ode à la création en général et à la littérature en particulier. Avec des numéros inspirés de Frances McDormand, Robert Downey Jr. et Rip Torn.
Wonder Boys (V.O.)
Gratuit (avec plages publicitaires) sur TUBI et payant sur la plupart des plateformes
Tromper la mort
C’est un autre personnage d’écrivain en crise qui se trouve au coeur du plus fou encore Le bruit des glaçons, grand cru tardif de Bertrand Blier, qui s’offrait là un retour à la forme que personne n’attendait. Fidèle à son goût pour la réalité qui effectue des dérapages de moins en moins contrôlés vers le surréalisme, le réalisateur de Merci
la vie signe une histoire originale dont le protagoniste romancier, Charles Faulque (Jean Dujardin), est au plus mal depuis le départ de sa femme.
Alcoolique, dépressif, Charles croit avoir perdu le goût de vivre. Il se ravise toutefois lorsque s’invite dans sa villa… son cancer (sous les traits d’Albert Dupontel), venu lui pourrir davantage la vie — si l’on veut. Ceci, tandis que sa bonne Louisa (Anne Alvaro), qui lui est entièrement dévouée, voit elle-même débarquer une tumeur (en la personne de la fabuleuse Myriam Boyer). Improbable ? Assurément. Réussi ? Et comment !
Le bruit des glaçons (V.O.) Gratuit à tfo.org
Un Bridges qui fait du bien
Sur le thème du cancer, et on pourra ici attribuer au phénomène de l’association libre cette inspiration, voici qu’on se surprend à avoir une pensée émue pour Jeff Bridges, qui révélait récemment se battre contre la maladie. Aussitôt, ce sont des images de l’acteur dans Starman qui s’imposent à l’esprit. Pourquoi ? Peut-être parce que, dans cette histoire d’un extraterrestre ayant adopté l’apparence d’un homme décédé et qui, avec l’aide de la veuve de ce dernier (Karen Allen, qu’on adore), tente de rentrer chez lui, on voit Bridges incarner un être possédant le pouvoir de redonner la vie, mais qui, paradoxalement, mourra s’il ne rejoint pas vite les siens. Réalisé avec beaucoup d’imagination, et un surcroît de tendresse jusque-là inédit dans sa filmographie, par John Carpenter (Halloween,
The Thing), Starman fait du bien. À noter qu’après avoir été nommé deux fois dans la catégorie de soutien, Jeff Bridges reçut sa première nomination en tant que meilleur acteur pour ce film — chose rare pour une oeuvre de science-fiction.
Starman (V.O.)
Gratuit (avec plages publicitaires) à ctv.ca et payant sur la plupart des plateformes
Retour en création
Sans être extraterrestre, on peut dire que la musique de PJ Harvey semble parfois venir d’un autre monde : ce n’est pas la moindre de ses qualités. Lauréate de maintes récompenses pour des albums tels Rid of Me, To Bring
You My Love, et Stories from the City,
Stories from the Sea, qui figurent tous au palmarès Rolling Stone des 500 meilleurs albums de tous les temps, PJ Harvey s’est toujours distinguée par sa soif de recherche musicale, affirmant souvent avoir horreur de se répéter. D’où la riche hétérogénéité de sa discographie. À cela s’ajoute une aura de mystère : un atout indéniable en art.
Sachant cela, on ne peut qu’admirer la démarche de la chanteuse dans la conception de son album de 2016 The Hope
Six Demolition Project. En effet, avec son équipe, PJ Harvey a érigé un studio d’enregistrement ouvert au public, libre d’assister au parachèvement d’un processus créatif ayant en amont mené l’artiste anglaise de Kaboul à Washington. Une quête d’inspiration en forme d’odyssée qu’a filmée le photojournaliste Seamus Murphy. En a résulté le documentaire A Dog Called Money, dans lequel PJ Harvey réfléchit non seulement à ses motivations artistiques, mais à ses privilèges. Le film a eu sa première au Festival de Berlin, en 2019.