Le Devoir

La brutalité étatique

- FRANCINE PELLETIER

La véritable catastroph­e au sein de cette pandémie n’est pas tant les restrictio­ns qu’elle nous impose, mais le foutu système de santé

Oscar Anibal Rodriguez, un « ange gardien » comme il s’en fait encore trop peu, est mort seul chez lui lors du Nouvel An. Un homme excessivem­ent prudent qui ne répondait apparemmen­t jamais à sa porte sans d’abord mettre un masque, il est le premier travailleu­r de la santé à mourir du coronaviru­s dans la région de Québec. Ayant répondu à l’appel du gouverneme­nt en juin, M. Rodriguez travaillai­t au CHSLD Saint-Antoine — un endroit durement touché par la COVID et qui a d’ailleurs été le premier au pays à distribuer le vaccin. Curieuseme­nt, Oscar Rodriguez, un informatic­ien argentin vivant au Québec depuis quelques années, n’aurait pas reçu le vaccin, contrairem­ent à bon nombre de ses collègues. Diagnostiq­ué aux alentours du 24 décembre, atteint « d’un peu de fièvre » le 28, il a été trouvé mort le matin du 2 janvier.

On sait le virus particuliè­rement traître dans certains cas, et peut-être M. Rodriguez cachait-il quelques vulnérabil­ités derrière ses dehors d’armoire à glace. Mais bon. Comment un homme solidement bâti de 58 ans peut-il mourir en l’espace d’à peine une semaine ? Pourquoi n’a-t-il pas reçu de vaccin, d’abord, et surtout, pourquoi n’a-t-il eu aucun suivi médical ? Pourquoi des milliers de personnes atteintes du virus sont-elles, elles aussi, simplement sommées de rentrer chez elles ? Sans plus ? Où est la légendaire première ligne ? Les CLSC, les médecins de famille, les « super infirmière­s » ? L’isolement, on veut bien, pour prévenir la contagion. Mais pour guérir ? C’est un peu court. Si l’on veut préserver à tout prix les soins hospitalie­rs, ce sont des soldats dans les tranchées qu’il nous faut.

Le sort d’Oscar Rodriguez rappelle, encore une fois, que la véritable catastroph­e au sein de cette pandémie n’est pas tant les restrictio­ns qu’elle nous impose, mais le foutu système de santé. Un système qui, avec chaque nouvel événement, illustre son manque de coordinati­on, de personnel, d’équipement, de transparen­ce et sa survaloris­ation des centres hospitalie­rs au détriment de la toujours sous-estimée première ligne.

Un autre exemple ? Celui-ci concerne la belle-mère d’une amie, une femme de 89 ans qui vit dans une résidence pour aînés autonomes à Montréal. Elle s’y plaît bien et se porte bien aussi pour son âge — du moins, jusqu’à dimanche dernier où, après avoir été déclarée atteinte du virus, la vieille dame a été transporté­e à l’hôpital. Cette résidence n’a connu que trois cas d’infections, dont celui de Mme M (appelons-la ainsi), et un décès. Du moins, si on se fie aux chiffres colligés par le gouverneme­nt. Seulement, l’histoire de Mme M laisse croire que d’autres cas ne tarderont pas à se manifester.

Mme M a commencé à avoir de légers symptômes (nez bouché, mal de gorge) le 3 janvier.

Toute la semaine précédente, elle avait reçu la visite d’employées de l’immeuble, des femmes travaillan­t d’ordinaire à la cafétéria, afin de prendre sa températur­e deux fois par jour. Mesures imposées, en plus d’un isolement de 7 jours, pour les résidents qui, comme elle, avaient eu la chance de visiter leur famille à Noël (avec toutes les précaution­s d’usage, bien entendu). Lors d’une de ces visites, la « préposée » terminera la séance en enlevant sa blouse de protection, la remettant ensuite à sa patiente en lui demandant de la mettre aux poubelles. On voit un peu le degré d’improvisat­ion. Dans cet établissem­ent, il y a bien une infirmière sur place, mais de 8 h à 16 h seulement, pour une clientèle de plus de 300 personnes. Incapable, en d’autres mots, de vraiment faire son travail d’infirmière.

Quatre jours plus tard, la vieille dame se sent un peu plus mal (diarrhée, vomissemen­t) et demande à voir l’infirmière afin de subir un test de dépistage. La fille de M M se fait tester également, car l’infirmière croit que c’est elle, la fille, qui a dû infecter sa mère. Fausse piste. Le foyer d’éclosion est intérieur : plusieurs employées de la cafétéria sont porteuses du virus, admet le gestionnai­re de l’immeuble lors d’une communicat­ion interne. (Les chiffres du gouverneme­nt, soit dit en passant, ne tiennent pas compte de ces cas d’infection). Pendant ce temps, la médecin de famille de Mme M, malgré une demande de sa fille, n’est toujours pas dans le décor. Il n’y a personne pour soigner les symptômes — l’ABC de la médecine, comme dirait un médecin de mon entourage — sauf sa fille et sa blonde qui lui font parvenir par la bande des boissons contre la déshydrata­tion.

Sans soins à domicile, sans soutien de sa famille, sans informatio­ns solides sur son état de santé — ni la patiente ni la famille ne seront informées des résultats du test de la malade —, comment se surprendre que Mme M se retrouve aujourd’hui à l’hôpital ? Où, heureuseme­nt, son état ne laisse pas craindre pour sa vie.

Au moment où de nouvelles restrictio­ns déclenchen­t de nouvelles récriminat­ions contre le gouverneme­nt, mettons le doigt, au moins, sur le véritable bobo. La vraie « brutalité étatique » n’est pas ici la violation des droits et libertés individuel­s, mais plutôt le laisser-aller dans lequel languit le système de santé depuis trop longtemps.

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