Le malaise
Dans une entrevue qui a fait date, René Lévesque avait déclaré : « On n’est pas dans un goulag […] Dieu sait si, quant à moi du moins, le fédéralisme canadien est un système de broche à foin qui trop souvent gêne notre développement. Mais par ailleurs, c’est quand même un système où les gens ont la liberté de respirer, de dire ce qu’ils ont à dire, y compris celle de prétendre à un autre régime à l’intérieur même du régime actuel. »
Il serait en effet exagéré de dire que les Québécois étouffent dans le Canada, malgré les frustrations qu’ils peuvent éprouver. Il ne s’agit pas d’oppression dans le sens usuel du terme, mais plutôt d’une sorte de malaise permanent engendré par leur statut de minorité, qui se manifeste de diverses façons et qui ne pourra qu’augmenter au fur et à mesure où le poids démographique, et conséquemment politique, du Québec ira en diminuant.
Le gouvernement Trudeau planche actuellement sur une révision de la Loi sur les langues officielles qui entend corriger le postulat erroné selon lequel il existe une symétrie entre la situation des communautés francophones hors Québec et celle de la communauté angloquébécoise. Reconnaître cette réalité est sans doute une excellente chose, mais cela ne changera rien à l’implacable loi du nombre qui détermine le rapport de force au sein de la fédération, ni au malaise causé par le sentiment de devoir régler son comportement sur des normes établies par d’autres.
Le plus récent d’une longue série de sondages effectués au fil des ans pour le compte du Commissariat aux langues officielles indique que 44 % des fonctionnaires fédéraux francophones se disent toujours mal à l’aise d’utiliser le français dans les bureaux pourtant identifiés comme bilingues en Ontario, au Nouveau-Brunswick et même au Québec, où le chiffre est de 41 %, de peur de ne pas être compris de leurs collègues ou d’être identifiés comme des « fauteurs de troubles » et, bien entendu, d’en payer le prix.
Pour faire bonne mesure, le sondage souligne que 39 % des fonctionnaires anglophones capables de parler français hésitent aussi à le faire, souvent parce qu’ils craignent que leur accent ou leur grammaire soient jugés incorrects. Cela est sans doute regrettable, mais hésiter à parler une langue seconde n’est pas du tout la même chose que de craindre d’utiliser sa langue maternelle.
La fonction publique fédérale, à plus forte raison la haute fonction publique, n’a jamais été un milieu particulièrement accueillant pour les francophones, à moins de n’avoir aucune objection à travailler en anglais et encore. Quarante ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles, ce n’est manifestement pas à la veille de changer. D’un sondage à l’autre, c’est du pareil au même.
Faut-il réellement s’en surprendre, alors qu’on en est à mesurer le pourcentage de commerces du centre-ville de Montréal où il est possible d’être accueilli en français ? Quand certains disent même craindre d’accueillir leurs clients en français de peur de se faire enguirlander, on ne parle plus d’un malaise, mais plutôt d’un sérieux problème.
Qu’il s’agisse de la langue d’enseignement, de la langue du travail dans les entreprises sous juridiction provinciale ou encore de l’affichage, la Charte de la langue française a beaucoup fait pour renforcer le statut du français et le gouvernement Legault a promis de nouvelles « mesures costaudes » sous peu. Malgré le recul des dernières années, la situation est sans commune mesure avec celle qui prévalait avant son adoption.
C’est peut-être au plan psychologique qu’elle a le moins atteint son objectif. Au-delà des technicalités, le but premier du « père de la loi 101 », Camille Laurin, était de débarrasser les Québécois de ce sentiment d’infériorité qui, depuis la Conquête, leur faisait croire qu’ils étaient « nés pour un petit pain », afin qu’ils osent enfin assumer pleinement leur différence.
Qu’ils acceptent toujours de vivre dans un malaise permanent témoigne des limites de la thérapie collective qu’il a voulu leur administrer. Pire encore, ils donnent parfois l’impression de s’y complaire, comme si le simple fait d’affronter un Quebec bashing qui ne se dément pas constituait une manifestation d’affirmation suffisante.
Il y a une quinzaine d’années, François Legault croyait avoir démontré que le Québec avait tout avantage à être souverain. Le nouveau chef du PQ, Paul St-PierrePlamondon entend à son tour mettre à jour les études économiques sur un Québec indépendant et présenter un « Budget de l’An 1 ». Cela ne réglera malheureusement pas le principal problème.
Il serait en effet exagéré de dire que les Québécois étouffent dans le Canada, malgré les frustrations qu’ils peuvent éprouver. Il ne s’agit pas d’oppression dans le sens usuel du terme, mais plutôt d’une sorte de malaise permanent engendré par leur statut de minorité.