Une destitution à haut risque
La procédure en cours pourrait déchirer encore plus les États-Unis
Le pari politique est risqué. À moins d’une semaine de l’assermentation de Joe Biden comme 46e président des États-Unis, la deuxième procédure de destination amorcée cette semaine contre Donald Trump pourrait renforcer les divisions dans un pays que le prochain président a pourtant promis de « réunifier » et de « guérir » après les quatre années chaotiques du règne de l’ex-vedette de téléréalité, estime une poignée d’experts consultés par Le Devoir.
Mais, au lendemain de l’insurrection au Capitole, qui suscite cet appel à la destitution, le risque est malgré tout à prendre, selon eux, pour ne pas laisser impuni un acte de trahison évident d’un président en poste contre la démocratie américaine.
« Les livres d’histoire vont devoir retenir que Donald Trump a été un des pires présidents des États-Unis, un sociopathe qui, en faisant la promotion de conspirations monstrueuses, a conduit à une insurrection, résume à l’autre bout du fil l’avocat Lanny Davis, ex-conseiller spécial de Bill Clinton et membre du comité de surveillance en matière de vie privée et de liberté civile de George W. Bush. Cette destitution, il faut la mener à terme pour nos enfants et pour nos petits-enfants, pour qu’ils se souviennent qu’un président doit être tenu responsable de ses actes lorsqu’il incite de manière odieuse à des émeutes. »
Cette deuxième procédure en destitution de Donald Trump n’était pas à l’agenda des démocrates qui, depuis novembre dernier, se préparent à reprendre le contrôle de la MaisonBlanche avec la volonté affichée de panser les plaies des quatre dernières années et de réduire les divisions profondes du pays. Mais, depuis le 6 janvier dernier et les émeutes au Capitole,
elle fait l’unanimité, atteignant même les rangs républicains, où plusieurs voix se sont fait entendre dans les derniers jours pour soutenir l’idée de destituer le président actuel.
« Après ce que nous avons vu, il n’y a aucun argument sérieux qui puisse être invoqué pour s’opposer à la destitution de Donald Trump », résume le stratège politique républicain Gary Sasse, joint au Rhode Island. Mercredi, une majorité d’élus de la Chambre des représentants a d’ailleurs adopté la mise en accusation de Donald Trump, première étape de sa destitution. « Mais politiquement, cela devient compliqué, puisque cette démarche va forcément faire de l’ombre » au coup d’envoi de la prochaine administration, dont les 100 premiers jours sont censés ouvrir sur un renouveau de la politique américaine et donner le ton de l’unité promise.
« Cela a le potentiel de diminuer le
Après ce que nous avons vu, il n’y a aucun argument sérieux qui puisse être invoqué pour s’opposer à la destitution » d e Donald Trump
GARY SASSE
message d’unité que Joe Biden souhaite porter le jour de son assermentation, renchérit Lanny Davis, et de faire ressortir les clivages et les divisions qu’il souhaite combattre afin de mettre l’avenir des États-Unis sur une autre voie. »
Division
Mercredi, les données du sondage Morning Consult réalisé pour le compte de Politico ont pris d’ailleurs la mesure du déchirement en révélant le fait que, si la nouvelle procédure en destitution de Donald Trump est soutenue par 53 % des Américains, elle alimente également la ligne de fracture entre les partisans des deux partis politiques : 90 % des démocrates appellent à cette sanction du comportement de Donald Trump, contre 80 % des républicains, qui s’y opposent.
Les signes de tension sont déjà perceptibles, particulièrement au sein des républicains, où le représentant de l’Ohio, Jim Jordan, un fidèle de Trump, a réclamé mercredi la démission de sa collègue Liz Cheney, représentante du Wyoming, et numéro 3 du parti, qui avait dit la veille soutenir la destitution du président. « [Il] aurait pu intervenir immédiatement et avec force pour empêcher le déferlement de violence, a-t-elle déclaré dans un communiqué. Il ne l’a pas fait. Il n’y a jamais eu de plus grande trahison par un président des ÉtatsUnis de sa fonction et de son serment à la Constitution. »
Pour Lanny Davis, cette procédure visant à condamner Donald Trump pour son appel à l’insurrection va certainement permettre aux élus qui lui sont les plus fidèles de reprendre leur bâton de pèlerin partisan en vue d’alimenter les divisions dont ils tirent politiquement profit. « Beaucoup de républicains se foutent d’être complices du président, parce que leurs électeurs restent malgré tout loyaux à Donald Trump, dit-il. Et ces élus n’ont pas l’intention de se couper de l’appui de ces fanatiques qui croient aux mensonges et à la conspiration. »
La semaine dernière, 147 élus républicains au Congrès, dont 8 sénateurs, ont pris le parti du président en refusant de confirmer l’élection légale de Joe Biden, soutenant ainsi la thèse non fondée d’un scrutin présidentiel frauduleux. « Dans ce contexte de division, il va falloir manoeuvrer habilement pour parvenir autant à l’unité qu’aux compromis nécessaires pour arriver à une destitution », estime Gary Sasse.
Des compromis difficiles. Même s’il avait indiqué à des proches qu’une destitution pouvait aider le parti républicain à se débarrasser de Donald Trump, le leader de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a refusé mercredi de faciliter cette démarche. Il a en effet rejeté l’idée d’une session d’urgence du Sénat pour tenir le procès en destitution avant l’entrée en fonction de Joe Biden, mercredi prochain.