Le Devoir

Une destitutio­n à haut risque

La procédure en cours pourrait déchirer encore plus les États-Unis

- FABIEN DEGLISE

Le pari politique est risqué. À moins d’une semaine de l’assermenta­tion de Joe Biden comme 46e président des États-Unis, la deuxième procédure de destinatio­n amorcée cette semaine contre Donald Trump pourrait renforcer les divisions dans un pays que le prochain président a pourtant promis de « réunifier » et de « guérir » après les quatre années chaotiques du règne de l’ex-vedette de téléréalit­é, estime une poignée d’experts consultés par Le Devoir.

Mais, au lendemain de l’insurrecti­on au Capitole, qui suscite cet appel à la destitutio­n, le risque est malgré tout à prendre, selon eux, pour ne pas laisser impuni un acte de trahison évident d’un président en poste contre la démocratie américaine.

« Les livres d’histoire vont devoir retenir que Donald Trump a été un des pires présidents des États-Unis, un sociopathe qui, en faisant la promotion de conspirati­ons monstrueus­es, a conduit à une insurrecti­on, résume à l’autre bout du fil l’avocat Lanny Davis, ex-conseiller spécial de Bill Clinton et membre du comité de surveillan­ce en matière de vie privée et de liberté civile de George W. Bush. Cette destitutio­n, il faut la mener à terme pour nos enfants et pour nos petits-enfants, pour qu’ils se souviennen­t qu’un président doit être tenu responsabl­e de ses actes lorsqu’il incite de manière odieuse à des émeutes. »

Cette deuxième procédure en destitutio­n de Donald Trump n’était pas à l’agenda des démocrates qui, depuis novembre dernier, se préparent à reprendre le contrôle de la MaisonBlan­che avec la volonté affichée de panser les plaies des quatre dernières années et de réduire les divisions profondes du pays. Mais, depuis le 6 janvier dernier et les émeutes au Capitole,

elle fait l’unanimité, atteignant même les rangs républicai­ns, où plusieurs voix se sont fait entendre dans les derniers jours pour soutenir l’idée de destituer le président actuel.

« Après ce que nous avons vu, il n’y a aucun argument sérieux qui puisse être invoqué pour s’opposer à la destitutio­n de Donald Trump », résume le stratège politique républicai­n Gary Sasse, joint au Rhode Island. Mercredi, une majorité d’élus de la Chambre des représenta­nts a d’ailleurs adopté la mise en accusation de Donald Trump, première étape de sa destitutio­n. « Mais politiquem­ent, cela devient compliqué, puisque cette démarche va forcément faire de l’ombre » au coup d’envoi de la prochaine administra­tion, dont les 100 premiers jours sont censés ouvrir sur un renouveau de la politique américaine et donner le ton de l’unité promise.

« Cela a le potentiel de diminuer le

Après ce que nous avons vu, il n’y a aucun argument sérieux qui puisse être invoqué pour s’opposer à la destitutio­n » d e Donald Trump

GARY SASSE

message d’unité que Joe Biden souhaite porter le jour de son assermenta­tion, renchérit Lanny Davis, et de faire ressortir les clivages et les divisions qu’il souhaite combattre afin de mettre l’avenir des États-Unis sur une autre voie. »

Division

Mercredi, les données du sondage Morning Consult réalisé pour le compte de Politico ont pris d’ailleurs la mesure du déchiremen­t en révélant le fait que, si la nouvelle procédure en destitutio­n de Donald Trump est soutenue par 53 % des Américains, elle alimente également la ligne de fracture entre les partisans des deux partis politiques : 90 % des démocrates appellent à cette sanction du comporteme­nt de Donald Trump, contre 80 % des républicai­ns, qui s’y opposent.

Les signes de tension sont déjà perceptibl­es, particuliè­rement au sein des républicai­ns, où le représenta­nt de l’Ohio, Jim Jordan, un fidèle de Trump, a réclamé mercredi la démission de sa collègue Liz Cheney, représenta­nte du Wyoming, et numéro 3 du parti, qui avait dit la veille soutenir la destitutio­n du président. « [Il] aurait pu intervenir immédiatem­ent et avec force pour empêcher le déferlemen­t de violence, a-t-elle déclaré dans un communiqué. Il ne l’a pas fait. Il n’y a jamais eu de plus grande trahison par un président des ÉtatsUnis de sa fonction et de son serment à la Constituti­on. »

Pour Lanny Davis, cette procédure visant à condamner Donald Trump pour son appel à l’insurrecti­on va certaineme­nt permettre aux élus qui lui sont les plus fidèles de reprendre leur bâton de pèlerin partisan en vue d’alimenter les divisions dont ils tirent politiquem­ent profit. « Beaucoup de républicai­ns se foutent d’être complices du président, parce que leurs électeurs restent malgré tout loyaux à Donald Trump, dit-il. Et ces élus n’ont pas l’intention de se couper de l’appui de ces fanatiques qui croient aux mensonges et à la conspirati­on. »

La semaine dernière, 147 élus républicai­ns au Congrès, dont 8 sénateurs, ont pris le parti du président en refusant de confirmer l’élection légale de Joe Biden, soutenant ainsi la thèse non fondée d’un scrutin présidenti­el frauduleux. « Dans ce contexte de division, il va falloir manoeuvrer habilement pour parvenir autant à l’unité qu’aux compromis nécessaire­s pour arriver à une destitutio­n », estime Gary Sasse.

Des compromis difficiles. Même s’il avait indiqué à des proches qu’une destitutio­n pouvait aider le parti républicai­n à se débarrasse­r de Donald Trump, le leader de la majorité républicai­ne au Sénat, Mitch McConnell, a refusé mercredi de faciliter cette démarche. Il a en effet rejeté l’idée d’une session d’urgence du Sénat pour tenir le procès en destitutio­n avant l’entrée en fonction de Joe Biden, mercredi prochain.

 ?? OLIVIER DOULIERY AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La nouvelle procédure en destitutio­n de Donald Trump est soutenue par 53 % des Américains et alimente également la ligne de fracture entre les partisans des deux partis politiques, ont révélé mercredi les données du sondage Morning Consult mené pour le compte de Politico.
OLIVIER DOULIERY AGENCE FRANCE-PRESSE La nouvelle procédure en destitutio­n de Donald Trump est soutenue par 53 % des Américains et alimente également la ligne de fracture entre les partisans des deux partis politiques, ont révélé mercredi les données du sondage Morning Consult mené pour le compte de Politico.

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