Le Devoir

Bochra Manaï, première commissair­e à la lutte contre le racisme à Montréal

- JEANNE CORRIVEAU

Choisie pour occuper le nouveau poste de commissair­e à la lutte contre le racisme et la discrimina­tion systémique­s de la Ville de Montréal, Bochra Manaï doit déjà affronter les critiques qui lui reprochent son associatio­n avec le Conseil national des musulmans canadiens qui avait contesté la Loi sur la laïcité de l’État en 2019.

La mairesse Valérie Plante a annoncé la nomination de Mme Manaï mercredi, dans la foulée du rapport très critique de l’Office de consultati­on publique de Montréal (OCPM) sur l’échec de la Ville dans sa lutte contre le racisme et la discrimina­tion au sein de l’appareil municipal.

Titulaire d’un doctorat en études urbaines, d’une maîtrise en migrations et relations interethni­ques et d’une maîtrise

Sur les réseaux sociaux, l’annonce de la nomination de Bochra Manaï n’a pas manqué de susciter les critiques

en géographie urbaine, Bochra Manaï dirigeait Parole d’excluEs, un organisme de mobilisati­on citoyenne de Montréal-Nord depuis deux ans.

« Je prends ce mandat avec beaucoup d’humilité », a-t-elle indiqué au Devoir. « Je ne viens pas avec des méthodes à appliquer ou du prêt-à-mâcher de l’antiracism­e. Je viens pour que tout le monde soit à l’aise de faire les transforma­tions qui vont être nécessaire­s. Quand on est chercheur, la première chose qu’on doit savoir faire, c’est d’être à l’écoute. […] Je n’entamerai pas de polarisati­on ou de division.

Dans son rapport, l’OCPM avait mis en relief que seulement 2 % des cadres à la Ville étaient issus des minorités visibles, ethniques ou autochtone­s. « La question des ressources humaines est prioritair­e parce que c’est par là que passe la culture organisati­onnelle, estime Bochra Manaï. L’idée est d’aller changer les pratiques pour qu’elles deviennent inclusives. Il ne s’agit pas d’aller à la recherche [des racistes], ce n’est pas une chasse aux sorcières qui s’ouvre. »

Brunilda Reyes, fondatrice des Fourchette­s de l’Espoir, un organisme de Montréal-Nord, connaît bien Bochra Manaï. « Elle est parfaite pour ce poste, après tout le travail qu’elle a fait à Montréal-Nord et son expertise au niveau de l’inclusion des citoyens de toutes origines. C’est une personne qui sait où elle va, dit-elle. C’est dommage de la perdre à Montréal-Nord. »

La députée libérale de Bourassa-Sauvé, Paule Robitaille, a appris à connaître Bochra Manaï pendant la pandémie, alors que Montréal-Nord était durement touché par la crise de la COVID-19. « C’est une femme intelligen­te, une femme de terrain qui a une grande sensibilit­é aux enjeux de racisme, relate-t-elle. Elle a beaucoup de discerneme­nt. Elle aura un devoir de réserve, mais je pense qu’elle a tous les atouts pour bien faire le travail. »

Un choix contesté

Sur les réseaux sociaux, l’annonce de la nomination de Mme Manaï n’a pas manqué de susciter les critiques. En 2019, Bochra Manaï avait été porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) qui avait contesté la loi 21. Elle reprochait alors à cette loi de créer « une seconde classe de citoyens et d’entériner un régime d’inégalités que l’on ne souhaite pas dans notre société ».

L’avocat Guillaume Rousseau, qui a représenté le Mouvement laïque québécois dans le dossier de la contestati­on de la loi 21, s’interroge sur le choix de Mme Manaï pour le poste de commissair­e. « Mme Manaï a tenu des propos très tranchés sur la loi 21, dit-il. Elle est dans la tranche moins modérée qui s’oppose à cette loi. »

Me Rousseau s’interroge aussi sur son associatio­n avec le CNMC en évoquant un guide pour les enseignant­s qui prônerait la liberté pour les parents musulmans de retirer leur enfant dans les cours de musique ou de danse. « Ce n’est pas banal. Mme Plante devrait avoir à répondre à des questions pour expliciter sa pensée », indique-t-il. Au micro de Bernard Drainville, au 98,5, Mme Manaï a affirmé ne pas connaître le document et ne pas partager ces positions.

« Je ne vais pas renier mon implicatio­n au sein de cette lutte-là [sur la loi 21], mais je trouverais dommage qu’on réduise plus de 10 ans d’implicatio­n sur la question d’exclusion sociale et la pauvreté. Je ne nie rien, mais mon implicatio­n ne se réduit pas à ce mandat que j’ai fait sur une courte durée », a-telle dit au Devoir.

De son côté, la mairesse Plante a rappelé que le processus de sélection pour ce poste avait été très « rigoureux ». « Maintenant, Mme Manaï est employée de la Ville. Elle comprend très bien son rôle. Pour ce qui est de la loi 21, elle a été adoptée. Montréal s’y conforme. Alors, je pense qu’on peut tourner la page. »

Bochra Manaï entrera en poste le 18 janvier prochain. Son bureau relèvera de la direction générale de la Ville et son premier mandat consistera à élaborer un plan d’action d’ici un an pour combattre le racisme et les discrimina­tions dans l’appareil municipal. Elle touchera un salaire annuel de 126 480 $.

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