Le Devoir

Louis-Pierre Bougie, maître du burin et de la gravure, n’est plus

- CAROLINE MONTPETIT

L’artiste et graveur Louis-Pierre Bougie, le maître du burin et de la gravure, malade depuis de nombreuses années, est mort à l’âge de 74 ans.

Considéré comme le « plus important graveur québécois de sa génération », l’homme avait gardé le burin comme principal outil de travail.

Né à Trois-Rivières, Louis-Pierre Bougie a étudié à l’École des BeauxArts de Montréal et à la Vancouver Art School, avant de parfaire sa formation dans les ateliers de maîtres parisiens. Il y pratique la lithograph­ie chez Jacques de Champfleur­y, la gravure à l’atelier Lacourière et Frélaut, la taille-douce et les eaux-fortes chez René Tazé.

« Il a fait de très belles gravures à Paris. Il a fait aussi des livres », se souvient Isabelle de Mévius, propriétai­re de la galerie le 1700 La Poste, qui a présenté une rétrospect­ive de Louis-Pierre Bougie en 2013. Louis-Pierre Bougie a collaboré avec de nombreux artistes, notamment à travers la production de livres d’artistes. Citons François Xavier Marange, Michel Van Schendel, Paul Chamberlan­d, Michel Butor, Jérôme Élie, Gaston Miron et Geneviève Letarte, pour ne nommer que ceux-là.

« Son oeuvre établit une rupture avec les plasticien­s, qui dominaient le paysage dans les années 1960-1970. C’était de la nouvelle figuration abstraite postmodern­e, qui se préoccupe plus de la condition humaine et des différents états humains, la mort, la souffrance, l’isolement », dit Claude Morrissett­e, qui l’a représenté au cours des dernières années de sa vie. Sur le front populaire, Louis-Pierre Bougie avait notamment signé la célèbre pochette de l’album La cinquième saison, du groupe québécois Harmonium.

Isabelle de Mévius a rencontré LouisPierr­e Bougie au début des années 2000. « Il a toujours travaillé de façon un peu indépendan­te, Louis-Pierre, mais il avait été représenté par le galeriste Lacerte, se souvient-elle. C’était quelqu’un d’humble, de très concerné par son travail, très en paix. Il avait l’humilité des grands artistes. »

Pour Bernard Lévy, l’ancien rédacteur en chef du magazine Vie des Arts, c’est cette indépendan­ce d’esprit qui a fait que Louis-Pierre Bougie n’a jusqu’à présent pas été l’objet d’une exposition solo dans un musée. « Toute sa vie, il s’est tenu à l’écart des modes, des tendances, des lignes esthétique­s dominantes. C’est aussi pourquoi aucun grand musée du Québec ou du Canada ne lui a jamais consacré une exposition solo ou une rétrospect­ive », écrit-il. Pour l’historien de l’art Michael Lachance, le projet artistique de Bougie « traverse l’histoire de l’art, depuis Bosch en passant par Redon », comme il l’écrit dans le catalogue publié par les éditions de Mévius.

De retour au Québec, Louis-Pierre Bougie a participé à la fondation de L’Atelier circulaire, qui a contribué au développem­ent de la gravure au Québec, et qui était dans le Vieux-Montréal avant son déménageme­nt dans le Mile End. Discret, il jouait un rôle d’animateur par la seule force de son travail, invitant régulièrem­ent des artistes de l’étranger à visiter, voire à s’établir au Québec.

« C’était un leader dans le monde de la gravure au Québec », dit Claude Morrissett­e. En entrevue, Isabelle de Mévius se souvient d’un homme qui marchait énormément, et qui avait notamment traversé le Canada à vélo. En 2013, c’est une exposition destinée à Louis-Pierre Bougie qui inaugure les locaux du 1700 La Poste, et qui relance la carrière de l’artiste. En 2019, Claude Morrissett­e, sentant la santé de l’artiste décliner, organise une nouvelle rétrospect­ive à la maison de la culture Claude-Léveillée.

Dans le catalogue publié à l’occasion de la rétrospect­ive du 1700 La Poste, l’historien de l’art Michael Lachance écrit : « Je reconnais dans les dessins de Bougie une façon d’articuler le corps humain pour jouer du sentiment d’être présent au coeur de la complexité hu

LOUIS-PIERRE BOUGIE

maine. Car dessiner du modèle vivant, c’est regarder avec son corps, c’est mimer l’autre avec son corps. »

« C’est quelqu’un qui a parlé tout haut de ses expérience­s intérieure­s. Ses personnage­s, cela correspond à des choses qu’il vit par rapport à des gens », ajoute Isabelle de Mévius.

Bernard Lévy parle de sa façon de « se familiaris­er avec l’autre, l’étranger, mais aussi le double et la gémellité. Ainsi, l’artiste peint l’homme dans tous ses états : féminin, masculin, sexué, asexué, ange. Il dessine des personnage­s aux prises avec les séismes de la vie quotidienn­e : la soif, la faim la colère, la dépression, la peur ».

Louis-Pierre Bougie vivait en solitaire, et avait encore un atelier, qu’on dit bondé de tableaux, dans le Mile End. C’est sa nièce, Geneviève Bougie, qui le représenta­it jusqu’à sa mort.

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 ??  ?? Deux petits profils Aquatinte et burin sur Chine appliqué sur Arches, 1990 (détail), de Louis-Pierre Bougie
Deux petits profils Aquatinte et burin sur Chine appliqué sur Arches, 1990 (détail), de Louis-Pierre Bougie
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SERGE CANTIN Louis-Pierre Bougie

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