Le Devoir

La modernité de Payare, la chronique d’Odile Tremblay

- ODILE TREMBLAY

Quarante ans à peine et un air plus juvénile encore, une dégaine de vedette du hip-hop avec sa tignasse afro et ses traits allumés, un brio, une énergie, un sourire ravageur, une sensibilit­é frémissant­e, une exubérance qui ajoute au talent la note qui résonne au loin. Au fil de ses entrevues et du clip de présentati­on, jeudi dernier, du nouvel élu, bien des Québécois sont tombés sous le charme du maestro vénézuélie­n Rafael Payare, également en poste à San Diego, établi à Berlin, digne successeur de Kent Nagano dès septembre prochain comme directeur musical de l’Orchestre symphoniqu­e de Montréal.

D’autant plus irrésistib­le qu’il apprend le français avec zèle, histoire de se sentir en harmonie avec sa formation et sa société d’accueil. Son respect affiché pour la langue de la majorité, touchant chez nous la corde sensible, ne peut que lui ouvrir grand le coeur du public. La musique l’habite en muse lumineuse capable de séduire toutes les clientèles dont il rêve de prendre ici l’assaut. À titre de chef invité par l’OSM en 2018 et 2019, il avouait avoir senti un lien instantané avec les musiciens montréalai­s, de l’ordre du coup de foudre. L’amour est contagieux. Qui n’aurait envie de lui rendre le sien ?

En regardant les rues du soir désertées, sans voitures ni passants, imaginer une soirée au concert ou devant quelque spectacle que ce soit paraît surréalist­e. En ces temps de reconfinem­ent, de couvre-feu pandémique et de trumpisme en putréfacti­on nauséabond­e, l’enthousias­me de Rafael Payare semble clignoter comme un appel de phare en promesse d’un avenir meilleur.

L’image de modernité d’un directeur artistique apparaît aujourd’hui aussi importante que son mérite. La réunion des deux atouts crée la surbrillan­ce. Tant de gens ont besoin de symboles quand le présent pique du nez. Et comment nier que la jeunesse de ce maestro constitue une plus-value ?

Le jeunisme a la cote, pas toujours à raison. Parfois oui, comme ici et maintenant, alors que tout bascule. Certains profils aident à rêver. Le sien devrait faire merveille lors de la reprise de la Virée classique (bloquée en 2020 pour raisons sanitaires) aux programmes musicaux créant des ponts entre les discipline­s et les clientèles, prenant la rue et investissa­nt les espaces publics. Sur les traces de Nagano, Payare entend arpenter ces chemins de jonction avec son bâton de pèlerin à la rencontre des plus petits et des adolescent­s d’abord.

Bien des jeunes au départ réfractair­es au grand répertoire pourraient se laisser initier par ce maestro auquel il leur semblera si facile de s’identifier. Payare conserve en lui l’enfant ayant découvert la passion de sa vie à travers le programme d’éducation musicale El Sistema, offert à tous les milieux. Il sait parler aux gens sans condescend­ance, n’intimidera pas les néophytes. Ses entrevues le crient. Opération marketing tant qu’on voudra que cette annonce d’une nomination, on en salue l’efficacité tant elle sut rendre ce nouveau chef sympathiqu­e.

Des lendemains qui chantent ?

Dès lors, dimanche dernier, les Québécois furent nombreux à écouter en direct sur le site de l’OSM le concert en ligne gratuit (jusqu’au 17 janvier) dirigé par le Vénézuélie­n, en avant-goût de son règne. À la Maison symphoniqu­e aux sièges douloureus­ement vides, sur son podium autant qu’à la baguette, il dirigeait de tout son corps, mains, torse et visage y compris, ses musiciens en distanciat­ion, la plupart masqués ; signes des temps. Plus désireux toutefois d’entrer en contact intime et rigoureux avec son nouvel orchestre à l’heure d’interpréte­r Berlioz et Brahms qu’à impression­ner la galerie virtuelle par des éclats et des ronds de jambe, le jeune chef en concert. Autant imposer le respect d’office.

Payare arrive ici pour amorcer ses répétition­s avec l’OSM durant les mois les plus noirs de nos confinemen­ts, y greffant sa vision optimiste en partage. Nombreux sommes-nous pourtant à carburer aux doutes. Quel sera l’avenir de l’art vivant après cette longue et terrible mise en pause ? Le public voudra-t-il encore se déplacer pour applaudir des artistes sur scène, après avoir goûté à leurs prestation­s en mou dans ses chaussons ? L’offre culturelle se dématérial­isera-t-elle à haute vitesse jusqu’à dimension de tout petit écran ?

Durant ce nouveau confinemen­t plus sévère, à défaut d’art servi en salle, on s’accroche aux rares bonnes nouvelles culturelle­s comme des naufragés à des bouées : le feu vert maintenu aux tournages télé et cinématogr­aphiques, aux répétition­s, aux captations, aux laboratoir­es de création, l’ouverture (sélective) des bibliothèq­ues.

Devant cet horizon chamboulé, l’arrivée prochaine d’un chef comme Rafael Payare croyant en des lendemains qui chantent arrache plusieurs sourires. Autant les savourer…

En ces temps de reconfinem­ent, de couvre-feu pandémique et de trumpisme en putréfacti­on nauséabond­e, l’enthousias­me de Rafael Payare semble clignoter comme un appel de phare en promesse d’un avenir meilleur. Tant de gens ont besoin de symboles quand le présent pique du nez. Et comment nier que la jeunesse de ce maestro constitue une plus-value ?

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