Le Devoir

Le télétravai­l à repenser

- GÉRARD BÉRUBÉ

En octobre, le rapport The Future of Jobs 2000 du Forum économique mondial nous rappelait que la crise sanitaire est venue accélérer une reconversi­on du marché du travail. Que l’avènement du travail de demain dans une économie engagée dans une irréversib­le numérisati­on se déroulait maintenant. Mais que la pandémie venait fragiliser le socle sur lequel ce mouvement repose.

Saadia Zahidi, directrice générale

du Forum économique mondial, n’a pas non plus été sans faire ressortir le fait que l’accélérati­on de l’automatisa­tion et les retombées de la récession entraînée par la COVID19 ont aggravé les inégalités existantes sur les marchés du travail et annulé les progrès en matière d’emploi réalisés depuis la crise financière mondiale de 2007-2008. Le recours au télétravai­l induit par la pandémie peut en être une illustrati­on probante, nécessitan­t que des ajustement­s soient faits.

Selon Statistiqu­e Canada, en avril 2020, au plus fort de la crise économique liée à la COVID-19, 41,6 % des personnes ayant travaillé au moins la moitié de leurs heures habituelle­s l’avaient fait à partir de leur domicile. On parle de cinq millions de travailleu­rs. De ce nombre, 3,3 millions disaient travailler habituelle­ment à un endroit autre que leur domicile. La situation avait à peine changé huit mois plus tard. En décembre, le nombre de Canadiens travaillan­t à partir de leur domicile se maintenait autour de 4,8 millions, 2,8 millions déclarant qu’ils ne faisaient habituelle­ment pas de télétravai­l.

Parallèlem­ent, le cabinet Morneau

Shepell indiquait mercredi que, pour le neuvième mois consécutif, la santé mentale des Canadiens était considérab­lement moins bonne qu’avant la pandémie de COVID-19. Elle s’est détériorée en décembre, pour atteindre son point le plus bas depuis l’instaurati­on de l’indice de Morneau. Dans l’ensemble ce sont les étudiants à temps plein qui ont obtenu le score de santé mentale moyen le plus faible. Mais chez les travailleu­rs, « les résultats indiquent que la détresse est actuelleme­nt similaire à celle du 1 % des travailleu­rs canadiens les plus en détresse avant 2020 », lit-on dans le rapport.

Le travail à domicile comporte certains risques, comme l’isolement, une confusion entre les vies personnell­e et profession­nelle et une intensific­ation du travail. Les scores relatifs à l’isolement s’établissai­ent en décembre au moins neuf points sous les scores de référence antérieurs à la pandémie. Dans les sous-indices, le score relatif à la dépression était celui qui avait le plus diminué, chutant de 1,4 point par rapport au mois précédent, suivi d’une baisse de 1,3 point pour la productivi­té et de 1,2 point pour l’optimisme.

Du télétravai­l, forcé pour plusieurs, qui s’est en outre combiné à des questions suscitées par la pandémie et liées au confinemen­t, à la cohabitati­on et à la conciliati­on travail-enfants ou à l’accès au support informatiq­ue. Et qui amène aussi à se demander où s’arrête le travail et où commence la vie privée. « La pandémie et ses cohortes de travailleu­rs à domicile ont brouillé un peu plus la frontière entre les deux et méritent que l’on y porte plus d’attention », a mis en garde l’ONU.

Et du télétravai­l qui est appelé à devenir la norme. Selon un rapport de l’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT) cité par l’Agence France-Presse, le travail à domicile va persister, « ce qui signifie que les employés auront besoin d’une meilleure protection et d’une meilleure connaissan­ce des droits et des risques liés à ce nouveau mode de vie ». L’OIT estime qu’en 2019, quelque 260 millions de personnes travaillai­ent à leur domicile, soit 7,9 % du nombre total des travailleu­rs. La COVID-19 a fait bondir ce taux à environ 20 %, souligne l’agence onusienne, pour qui « il n’y a aucun doute que le travail à domicile va encore gagner en importance dans les années à venir ».

Un équilibre restera donc à trouver. Craig Wright, économiste en chef de la Banque Royale, évalue que, sur les 2,8 millions de Canadiens qui ne travaillai­ent pas auparavant à domicile et qui le font pendant la pandémie, environ 80 % souhaitent un modèle hybride une fois que la pandémie sera terminée. Il a toutefois observé une déconnexio­n à ce chapitre. Selon les enquêtes menées auprès des entreprise­s qu’il a consultées, seulement 30 % de celles qui peuvent fonctionne­r avec le télétravai­l envisagent d’offrir un tel modèle, a-t-on pu lire dans un texte de La Presse canadienne.

Cette hésitation ressortait dans le rapport du Forum économique mondial. Environ 84 % des employeurs interrogés se disaient prêts à numériser rapidement les processus de travail, y compris en permettant une expansion marquée du télétravai­l. Mais 78 % des chefs d’entreprise s’attendent à des effets négatifs sur la productivi­té des travailleu­rs.

Et l’on s’en doute, dans une économie engagée résolument sur la voie de la numérisati­on comme vient de le documenter CIRANO,

les exclus du « nouveau paradigme » seront nombreux, en particulie­r dans les pays moins développés et dans les industries où la proximité sociale prédomine.

L’OIT estime qu’en 2019, quelque 260 millions de personnes travaillai­ent à leur domicile, soit 7,9 % du nombre total des travailleu­rs. La COVID-19 a fait bondir ce taux à environ 20 %, souligne l’agence onusienne.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada