Du noir au vert
La pandémie de COVID-19 a révélé bien des failles de nos sociétés, et en particulier de notre modèle économique. La crise climatique, le vieillissement de la population, l’accroissement des inégalités accentuent depuis des années la pression pour changer de perspective. Heureusement, les idées ne manquent pas, les initiatives non plus et, sur ce front, le Québec a peu à envier aux autres. Aujourd’hui : la décarbonisation, quatrième de six textes.
«Carboneutre en 2050 .» L’objectif est ambitieux, mais doit absolument être atteint pour ralentir et stopper le train des changements climatiques. L’humanité approche du mur encore trop vite. Le Canada a repris ce cri de ralliement cet automne, bien qu’on ignore comment il arrivera à respecter sa cible. D’autres pays, villes et entreprises, qui ont pris le même engagement ou même promis de faire mieux, sont déjà à l’oeuvre.
Viser la carboneutralité de l’économie est, malgré ce que croient certains prophètes de malheur, une opportunité, l’occasion de changer le modèle économique afin qu’il soit plus respectueux de la planète, mais aussi plus efficace et résilient. Et non, ce n’est pas synonyme de chômage ou d’appauvrissement. Même les entreprises qui ont pris le train peuvent y gagner au change.
Pour arriver à bon port, de multiples stratégies doivent toutefois être mises en oeuvre par les gouvernements, les entreprises, les citoyens afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) associées surtout aux énergies fossiles. La fameuse transition énergétique est d’ailleurs au coeur du dernier plan de développement durable du gouvernement du Québec rendu public cet automne et qui mise plus que jamais sur l’électrification des transports.
Ce n’est pas pour rien. « Aujourd’hui, au Québec, 50 % du carbone qu’on émet vient du pétrole, la source d’énergie la plus chère et elle est liée à une perte de productivité incroyable dans l’économie québécoise », explique Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. « Les Québécois ont des véhicules de plus en plus gros et de plus en plus de véhicules par 1000 habitants, ce qui nous coûte de plus en plus cher aussi en congestion, routes défoncées, étalement urbain et, évidemment, en infrastructures. »
Partisan d’une « décarbonisation intelligente » qui miserait aussi sur l’économie d’énergie et la sur réduction du nombre de véhicules, il souligne la pertinence de cibler les transports. Ce secteur est responsable de l’incapacité du Québec à respecter ses objectifs de réduction des émissions de GES. « Si on rate en 2020 notre cible de 20 %, c’est uniquement à cause du transport individuel et des marchandises. […] Paradoxalement, et ce n’est pas assez connu, au Québec, les secteurs où l’on observe de véritables réductions d’émissions de GES sont les secteurs industriels. Pris dans leur ensemble, ils ont dépassé la cible de 2020 », poursuit le chercheur.
Rentabilité
Et si des entreprises grandes et petites l’ont fait, c’est parce que c’est rentable dans la plupart des cas : économie d’énergie, gains de productivité grâce à l’adoption de procédés plus efficaces, revalorisation des matières résiduelles et création de chaînes d’approvisionnement plus courtes. Tout cela, en adoptant fréquemment des stratégies propres à l’économie circulaire.
Le secteur québécois du fer et de l’acier, par exemple, est à dresser le portrait de toute sa chaîne de valeur afin d’identifier entre autres les possibilités de circularité permettant une réduction des émissions de GES. L’initiative est soutenue par le gouvernement du Québec à travers le Fonds vert.
Ce n’est pas toujours simple ni facile de faire ces maillages, avertit toutefois M. Pineau. « Les grosses entreprises cherchent des projets qui sont rentables avec un retour sur l’investissement à court terme. Elles hésitent à changer leurs processus, de crainte de vivre des ruptures d’approvisionnement. […] Elles veulent aussi protéger leur avantage concurrentiel et peuvent résister à divulguer certaines informations. »
Le lent retour sur l’investissement peut effectivement avoir un effet de frein quand les coûts associés à la modernisation de la machinerie existante, comme cela peut-être le cas dans de plus vieilles fonderies, sont élevés, explique Céline Bak, présidente d’Analytica Advisors qui conseille des entreprises dans l’élaboration de leur plan de décarbonisation.
Mais ça bouge. L’automne dernier, un nouvel investissement de 875 millions a été annoncé pour la construction d’une usine de biocarburants à Varennes par la firme Enerkem, en partenariat avec Shell, Suncor, Proman et Hydro-Québec. Le projet Recyclage Carbone Varennes va convertir en biocarburant plus de 200 000 tonnes de matières résiduelles non recyclables et de biomasse forestière résiduelle, et ce, grâce à un procédé d’électrolyse utilisant de l’énergie hydroélectrique.
Pays producteur d’énergies fossiles, le Canada ne pourra en arriver à une économie carboneutre sans un soutien gouvernemental, note Mme Bak, qui a dressé pendant des années le portrait du secteur canadien des technologies propres. En particulier dans les régions productrices, bien que l’Alberta ait un des meilleurs potentiels éolien et solaire au pays.
La décarbonisation de l’économie est une urgence, insiste l’économiste François Delorme, enseignant à l’Université de Sherbrooke et collaborateur du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). « On sait déjà ce qu’on a à faire, mais plus on attend, plus le coût de l’inaction augmente, et ça, chaque année. On ne peut pas pelleter le problème en avant. Le problème climatique est le seul pour lequel on ne peut pas repousser le mur. C’est un problème unique en économie et c’est pour ça qu’on ne peut pas seulement dans le cadre du paradigme économique existant. »
« Il y a un lien très fort entre l’émission de GES et le modèle économique linéaire », souligne Daniel Normandin, directeur du nouveau Centre d’études et de recherche intersectorielles en économie circulaire (CERIEC), de l’École de technologie supérieure.
L’adoption de nouveaux modèles pourrait donc changer la donne. Une étude réalisée pour le Club de Rome et publiée en 2016 montrait d’ailleurs que les cinq pays européens examinés gagneraient à adopter un modèle économique privilégiant le flux circulaire des ressources. Cela y favoriserait la création d’emplois, la réduction d’émissions de GES et l’amélioration de leur balance commerciale.
Paradoxalement, et ce n’est pas assez connu, au Québec, les secteurs où on observe de véritables réductions d’émissions de GES sont les secteurs industriels. Pris dans leur ensemble, ils ont dépassé la cible de 2020.
PIERRE-OLIVIER PINEAU