Le Devoir

L’opposant Alexeï Navalny rentrera au pays dimanche

Il quitte l’Allemagne en dépit d’une menace de peine de prison qui pèse sur lui

- RUSSIE THIBAUT MARCHAND

L’opposant russe Alexeï Navalny, en convalesce­nce en Allemagne après avoir été victime d’un empoisonne­ment en août, a annoncé mercredi qu’il rentrerait dimanche en Russie, en dépit d’une menace de peine de prison qui pèse sur lui.

« Venir en Allemagne, ce n’était pas mon choix […] Je me suis retrouvé ici parce qu’ils ont essayé de me tuer », a déclaré dans une vidéo diffusée sur sa page Instagram l’opposant de 44 ans, annonçant qu’il avait acheté un billet d’avion pour Moscou.

Pourfendeu­r de la corruption et ennemi juré du Kremlin, M. Navalny avait fait un malaise en août au moment où il revenait d’une tournée électorale.

Son avion avait atterri d’urgence à Omsk, en Sibérie, où il était resté hospitalis­é 48 heures avant d’être évacué, dans le coma, vers l’Allemagne.

Empoisonne­ment

L’opposant en est sorti début septembre, et trois laboratoir­es européens ont conclu à un empoisonne­ment par un agent neurotoxiq­ue de type Novitchok, conçu à l’époque soviétique — une conclusion confirmée par l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques (OIAC), malgré les dénégation­s de Moscou.

Les proches de M. Navalny assurent qu’il arrivera dimanche à l’aéroport moscovite de Vnoukovo à 19 h 20 (16 h 20 GMT) à bord d’un avion de la compagnie Pobeda. « Venez m’accueillir », a-t-il déclaré dans sa vidéo, ajoutant qu’il était « pratiqueme­nt guéri ».

Pour Alexeï Navalny, les services de sécurité russes (FSB) ont cherché à l’assassiner sur l’ordre direct de Vladimir Poutine. Et il est persuadé que le président russe ne veut en aucun cas le voir retourner en Russie.

Une plainte

« Ils font tout pour m’effrayer, et tout ce qui reste à Poutine, c’est d’afficher une pancarte sur le Kremlin qui dit : “Alexeï, s’il te plaît, ne rentre en aucun cas” », a-t-il déclaré.

Cette semaine, la justice a notamment enregistré une plainte demandant la conversion d’une peine de prison avec sursis le visant en prison ferme.

Le responsabl­e de la plainte serait le service pénitentia­ire russe (FSIN), qui a accusé en décembre M. Navalny de ne pas avoir respecté les termes de son sursis en n’étant pas rentré rapidement d’Allemagne après sa sortie d’hôpital.

Fin décembre, une enquête pour fraude a aussi été ouverte, l’opposant étant soupçonné d’avoir dépensé pour son usage personnel 356 millions de roubles (6,1 millions de dollars canadiens) de dons.

« En ce qui concerne Navalny, la situation ressemble à celle de deux trains qui foncent l’un vers l’autre et qui vont inévitable­ment se percuter, a écrit sur le réseau social Telegram l’analyste Tatiana Stanovaya. Il va y avoir beaucoup de victimes. »

Représaill­es

Un autre analyste, Abbas Galliamov, estime que l’opposant a mal choisi sa date de retour. « S’il est arrêté maintenant — et il le sera certaineme­nt —, la vague d’indignatio­n suscitée par cet événement se sera sûrement dissipée [d’ici les élections législativ­es de l’automne prochain] », a-t-il déclaré.

L’empoisonne­ment de M. Navalny a provoqué une nouvelle passe d’armes diplomatiq­ue entre Moscou et les pays occidentau­x, l’Union européenne ayant notamment interdit de séjour plusieurs responsabl­es russes, dont le chef du FSB, Alexandre Bortnikov.

En représaill­es, Moscou a pris des mesures similaires contre plusieurs représenta­nts de pays de l’UE.

Au cours de sa conférence de presse annuelle, prononcée en décembre, Vladimir Poutine avait affirmé que, si le Kremlin avait vraiment voulu empoisonne­r Alexeï Navalny, « l’affaire aurait été menée à son terme ».

En ce qui concerne Navalny, la situation ressemble à celle de deux trains qui foncent l’un vers l’autre et qui vont inévitable­ment se percuter. Il va y avoir

beaucoup de victimes. TATIANA STANOVAYA

Dénonciate­ur de la corruption

Largement ignoré des médias nationaux, non représenté au Parlement et inéligible, Alexeï Navalny reste la principale voix de l’opposition, en partie grâce à sa chaîne YouTube, qui compte 4,8 millions d’abonnés.

Ses vidéos dénonçant la corruption des élites cumulent à chaque fois des millions de vues. Conséquenc­e, les bureaux de son organisati­on sont régulièrem­ent perquisiti­onnés, et lui comme ses alliés multiplien­t les courts séjours en prison.

La Russie refuse en revanche d’enquêter sur son empoisonne­ment, arguant du refus de l’Allemagne de lui transmettr­e les données en sa possession. Au gré des versions, Moscou a démenti tout empoisonne­ment, accusé les services secrets occidentau­x ou mis en cause l’hygiène de vie d’Alexeï Navalny.

Mi-décembre, le site Internet d’investigat­ion britanniqu­e Bellingcat a publié une enquête qui identifie huit agents du FSB impliqués dans la filature de l’opposant depuis des années.

Quelques jours plus tard, M. Navalny a pour sa part assuré avoir piégé l’un de ces agents au téléphone, lui faisant admettre qu’il avait participé à son empoisonne­ment. Le FSB a dénoncé une « falsificat­ion ».

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AGENCE FRANCE-PRESSE/@NAVALNY Pourfendeu­r de la corruption et ennemi juré du Kremlin, Alexeï Navalny avait fait un malaise en août, au moment où il revenait d’une tournée électorale.

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