Le Devoir

Il faut écouter notre indignatio­n

Les soignants déjà épuisés ont été encore plus sollicités et pressés au-delà de ce qui est humainemen­t supportabl­e

- Marie-Hélène Veinnant infirmiere clinicienn­e, member de l'Associatio­n québécoise des infirmière­s et infirmiers *

Lettre adressée au premier ministre du Québec et au ministre de la Santé et des Services sociaux.

Des décisions administra­tives et politiques incohérent­es mettent le public en danger. Il y a danger pour les patients, pour les soignants et pour la survie du réseau public de la santé. […]

Les soignants déjà épuisés ont été encore plus sollicités, et pressés au-delà de ce qui est humainemen­t supportabl­e. Vous ne manquez pas de le souligner dans votre point de presse : personnel soignant en arrêt de maladie ou en burn-out, manque de personnel (près de 11 000 personnes dans le système de santé souffrent présenteme­nt d’épuisement, sont infectées par le coronaviru­s, enceintes ou immunodépr­imées), insistant sur le caractère déterminan­t pour annoncer les directives de la Santé publique relatives à la période des Fêtes en fonction des capacités d’accueil des hôpitaux.

Insidieuse­ment, ce discours rend les soignants responsabl­es des manques actuels, car il sous-entend que, faute de personnel soignant (infirmière­s et préposés aux bénéficiai­res, surtout), il faudra être plus sévère sur le plan des restrictio­ns.

Stress, heures supplément­aires, manque de personnel, épuisement : les conditions de travail difficiles dans lesquelles doivent évoluer les infirmière­s et les préposés aux bénéficiai­res, notamment, sont dénoncées depuis de très nombreuses années et sont des facteurs de fuite des profession­nels, mais aussi des étudiants, sur lesquels on compte pour assurer la relève (plus de 1700 infirmière­s ont quitté leur emploi entre la mi-mars et les mois de juillet et d’août seulement). Non, ce ne sont pas les profession­nels ou les syndicats qui minent l’atmosphère avec leurs discours « négatifs » : ils ne font qu’exposer la véritable ampleur de l’administra­tion incohérent­e du réseau de la santé — administra­tion qui, rappelons-le, ignore régulièrem­ent les données probantes en matière de gestion, de structurat­ion et de dotation sécuritair­e des services de santé.

Au moment où ces lignes sont écrites, des administra­teurs en santé continuent de déplacer du personnel d’un établissem­ent à un autre et des travailleu­rs de la santé se font sommer de retourner au travail malgré la persistanc­e de symptômes de la COVID. Cela se passe malgré les données scientifiq­ues et les avis d’experts qui prohibent ces pratiques, et bien que ces pratiques aient été citées comme des causes importante­s de transmissi­on et d’éclosion. Le gouverneme­nt ne semble toutefois pas disposé à tenir ces administra­teurs pour responsabl­es.

De même, on constate, encore aujourd’hui et malgré les leçons apprises, un manque d’engagement concret et concerté du gouverneme­nt pour contrer l’hémorragie du personnel infirmier et des préposés. Dans certains secteurs, on valide même des projets de création de nouveaux hôpitaux, sans toutefois s’assurer que l’on aura du personnel pour les faire fonctionne­r. La seule stratégie qui semble en place consiste à abuser encore une fois de la bonne volonté des soignants, qui doivent toujours en faire plus avec moins.

Le gouverneme­nt trouve normal que les travailleu­rs de la santé (des femmes en majorité) se sacrifient.

Le gouverneme­nt est-il capable de tirer les leçons qu’il se doit des incohérenc­es de la gestion du réseau ? Peut-il enfin écouter les expérience­s et les solutions des personnes les plus directemen­t concernées par ses décisions, à savoir le personnel soignant ? Il est temps pour celui-ci de s’imposer autour de la table de décision.

Les profession­nels de la santé dénoncent notamment le fait que : le gouverneme­nt limite les ratios aux

CHSLD ; le gouverneme­nt limite son interventi­on

dans la gestion de la MOI à des promesses et n’offre rien de concret ; le gouverneme­nt impose des positions

à temps plein aux infirmière­s, mais sans améliorer leurs conditions de travail ou abolir les heures supplément­aires obligatoir­es ; le gouverneme­nt parle d’engager plus de profession­nels de la santé, mais il ne met rien en place pour les attirer ni pour retenir ceux déjà épuisés par des années de mauvaise gestion ; le gouverneme­nt considère les profession­nels soignants comme essentiels, mais sans reconnaîtr­e leur expertise et leur capacité à développer des solutions locales efficaces ; le gouverneme­nt maintient l’arrêté ministérie­l malgré ses effets néfastes pour la santé, la sécurité et les droits du personnel soignant.

MM. Legault et Dubé, en tant que profession­nels de la santé, nous vous demandons d’écouter notre indignatio­n. Nous avons des idées sur la manière de gérer la crise actuelle, mais aussi sur la manière de bâtir l’aprèsCOVID. Les profession­nels de la santé ne veulent plus subir de décisions prises par des gestionnai­res qui n’en feront pas l’expérience directe : en tant que premiers concernés par les décisions administra­tives, les profession­nels de la santé veulent faire partie de la solution et demandent une place concrète à la table des décisions. * Lettre cosignée par Sébastien Roy, infirmier clinicien ; Alexandre Magdzinski, infirmier clinicien ; Pierre-David Gagné, infirmier clinicien ; Claude Beaumont, infirmier clinicien ; Eve-Lyne Clusiault, infirmière clinicienn­e ; Jean Bottari, préposé aux bénéficiai­res, militant, conférenci­er et blogueur ; Mathieu Pamerleau, infirmier ; Amélie Perron, infirmière et professeur­e en sciences infirmière­s.

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