Il faut écouter notre indignation
Les soignants déjà épuisés ont été encore plus sollicités et pressés au-delà de ce qui est humainement supportable
Lettre adressée au premier ministre du Québec et au ministre de la Santé et des Services sociaux.
Des décisions administratives et politiques incohérentes mettent le public en danger. Il y a danger pour les patients, pour les soignants et pour la survie du réseau public de la santé. […]
Les soignants déjà épuisés ont été encore plus sollicités, et pressés au-delà de ce qui est humainement supportable. Vous ne manquez pas de le souligner dans votre point de presse : personnel soignant en arrêt de maladie ou en burn-out, manque de personnel (près de 11 000 personnes dans le système de santé souffrent présentement d’épuisement, sont infectées par le coronavirus, enceintes ou immunodéprimées), insistant sur le caractère déterminant pour annoncer les directives de la Santé publique relatives à la période des Fêtes en fonction des capacités d’accueil des hôpitaux.
Insidieusement, ce discours rend les soignants responsables des manques actuels, car il sous-entend que, faute de personnel soignant (infirmières et préposés aux bénéficiaires, surtout), il faudra être plus sévère sur le plan des restrictions.
Stress, heures supplémentaires, manque de personnel, épuisement : les conditions de travail difficiles dans lesquelles doivent évoluer les infirmières et les préposés aux bénéficiaires, notamment, sont dénoncées depuis de très nombreuses années et sont des facteurs de fuite des professionnels, mais aussi des étudiants, sur lesquels on compte pour assurer la relève (plus de 1700 infirmières ont quitté leur emploi entre la mi-mars et les mois de juillet et d’août seulement). Non, ce ne sont pas les professionnels ou les syndicats qui minent l’atmosphère avec leurs discours « négatifs » : ils ne font qu’exposer la véritable ampleur de l’administration incohérente du réseau de la santé — administration qui, rappelons-le, ignore régulièrement les données probantes en matière de gestion, de structuration et de dotation sécuritaire des services de santé.
Au moment où ces lignes sont écrites, des administrateurs en santé continuent de déplacer du personnel d’un établissement à un autre et des travailleurs de la santé se font sommer de retourner au travail malgré la persistance de symptômes de la COVID. Cela se passe malgré les données scientifiques et les avis d’experts qui prohibent ces pratiques, et bien que ces pratiques aient été citées comme des causes importantes de transmission et d’éclosion. Le gouvernement ne semble toutefois pas disposé à tenir ces administrateurs pour responsables.
De même, on constate, encore aujourd’hui et malgré les leçons apprises, un manque d’engagement concret et concerté du gouvernement pour contrer l’hémorragie du personnel infirmier et des préposés. Dans certains secteurs, on valide même des projets de création de nouveaux hôpitaux, sans toutefois s’assurer que l’on aura du personnel pour les faire fonctionner. La seule stratégie qui semble en place consiste à abuser encore une fois de la bonne volonté des soignants, qui doivent toujours en faire plus avec moins.
Le gouvernement trouve normal que les travailleurs de la santé (des femmes en majorité) se sacrifient.
Le gouvernement est-il capable de tirer les leçons qu’il se doit des incohérences de la gestion du réseau ? Peut-il enfin écouter les expériences et les solutions des personnes les plus directement concernées par ses décisions, à savoir le personnel soignant ? Il est temps pour celui-ci de s’imposer autour de la table de décision.
Les professionnels de la santé dénoncent notamment le fait que : le gouvernement limite les ratios aux
CHSLD ; le gouvernement limite son intervention
dans la gestion de la MOI à des promesses et n’offre rien de concret ; le gouvernement impose des positions
à temps plein aux infirmières, mais sans améliorer leurs conditions de travail ou abolir les heures supplémentaires obligatoires ; le gouvernement parle d’engager plus de professionnels de la santé, mais il ne met rien en place pour les attirer ni pour retenir ceux déjà épuisés par des années de mauvaise gestion ; le gouvernement considère les professionnels soignants comme essentiels, mais sans reconnaître leur expertise et leur capacité à développer des solutions locales efficaces ; le gouvernement maintient l’arrêté ministériel malgré ses effets néfastes pour la santé, la sécurité et les droits du personnel soignant.
MM. Legault et Dubé, en tant que professionnels de la santé, nous vous demandons d’écouter notre indignation. Nous avons des idées sur la manière de gérer la crise actuelle, mais aussi sur la manière de bâtir l’aprèsCOVID. Les professionnels de la santé ne veulent plus subir de décisions prises par des gestionnaires qui n’en feront pas l’expérience directe : en tant que premiers concernés par les décisions administratives, les professionnels de la santé veulent faire partie de la solution et demandent une place concrète à la table des décisions. * Lettre cosignée par Sébastien Roy, infirmier clinicien ; Alexandre Magdzinski, infirmier clinicien ; Pierre-David Gagné, infirmier clinicien ; Claude Beaumont, infirmier clinicien ; Eve-Lyne Clusiault, infirmière clinicienne ; Jean Bottari, préposé aux bénéficiaires, militant, conférencier et blogueur ; Mathieu Pamerleau, infirmier ; Amélie Perron, infirmière et professeure en sciences infirmières.