Après le poison, la prison
De retour dans son pays natal, Alexeï Navalny est déjà en détention
Pour sa crédibilité auprès des électeurs russes, il devait faire face au monstre qu’il combat » et rentrer au pays YANN BREAULT
À peine arrivé en Russie, le principal opposant du Kremlin, Alexeï Navalny, a été arrêté par les autorités dimanche à sa sortie de l’avion. Un geste aussitôt dénoncé par la communauté internationale qui a demandé sa libération immédiate et appelé à adopter de nouvelles sanctions contre Moscou.
« Il restera en détention jusqu’à la décision du tribunal » sur son cas, ont indiqué les services pénitentiaires russes (FSIN) par voie de communiqué, sans préciser de date.
Alexeï Navalny, 44 ans, a été arrêté
lorsqu’il s’apprêtait à présenter son passeport aux douanes de l’aéroport de Cheremetievo, à Moscou. Il revenait d’Allemagne où il se remettait depuis août d’un empoisonnement par un agent neurotoxique qu’il attribue au Kremlin.
Il devait initialement atterrir à l’aéroport Vnoukovo, mais son avion a été dérouté à la dernière minute sans explication. À l’arrivée, des policiers en uniforme l’attendaient. Selon l’ONG spécialisée OVD-Info, 65 personnes au total ont été arrêtées à Moscou et Saint-Pétersbourg en lien avec le retour de M. Navalny.
L’opposant russe avait pourtant été prévenu. Depuis jeudi, le FSIN menaçait de l’envoyer en prison dès qu’il reviendrait en Russie. Les autorités lui reprochent de ne pas s’être plié aux conditions d’une peine de prison dont il a écopé en 2014 pour détournements de fonds. Une sentence que l’opposant dénonce comme politiquement motivée.
Il est aussi visé depuis fin décembre par une nouvelle enquête pour fraude, les autorités le soupçonnant d’avoir dépensé pour son usage personnel 356 millions de roubles de dons (6 millions de dollars canadiens).
En montant à bord de l’avion aux côtés de sa femme Ioulia, Alexeï Navalny s’était pourtant montré très serein. « Je suis certain que tout va bien se passer. On va m’arrêter ? Ce n’est pas possible, je suis innocent », avait-il lancé, sûr de lui.
Un retour nécessaire
Selon Yann Breault, professeur en études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean, l’opposant russe n’avait d’autre choix que de rentrer au pays. « Rester en Allemagne aurait été sécuritaire, mais il serait devenu un simple spectateur. Pour son avenir politique, pour sa crédibilité auprès des électeurs russes, il devait faire face au monstre qu’il combat et rentrer au pays. »
Depuis une dizaine d’années, l’opposant russe a toujours fait preuve « d’audace » et de « témérité » face au Kremlin qui tente de le « museler », fait remarquer le professeur. Malgré les perquisitions, les pressions et les condamnations, il ne s’est jamais laissé intimider.
S’il est largement ignoré des médias nationaux, non représenté au Parlement et inéligible, Alexeï Navalny reste la principale voix de l’opposition russe, en partie grâce à sa chaîne YouTube (4,8 millions d’abonnés) et son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption (FBK), dénonçant la corruption des élites. Il a d’ailleurs réussi à organiser plusieurs manifestations très suivies ces dernières années et des revers embarrassants pour le pouvoir lors de scrutins locaux.
Sa notoriété reste cependant limitée en dehors des grandes agglomérations. Selon un sondage du centre indépendant Levada datant de septembre, seulement 20 % des Russes approuvent ses actions.
« Navalny ne représente pas une réelle menace pour le pouvoir. Ce qui dérange, c’est que ses actions contribuent à un effritement lent, mais irréversible, de la popularité du président Vladimir Poutine. Navalny sème le doute et diminue la confiance de la population envers les élites politiques », souligne Yann Breault.
Réactions
Navalny ne représente pas une réelle menace pour le pouvoir. Ce qui dérange, c’est que ses actions contribuent à un effritement lent, mais irréversible, de la popularité du président, »
Vladimir Poutine.
YANN BREAULT
L’arrestation de l’opposant russe a en effet entraîné nombre de critiques de la part de la communauté internationale dimanche. Le nouveau chef de la diplomatie canadienne, Marc Garneau, a fermement condamné son arrestation, demandant aux autorités russes de le libérer « immédiatement ». « C’est inacceptable et nous continuerons d’exiger des explications en lien avec son empoisonnement ».
Aux États-Unis, Jake Sullivan, le futur conseiller à la sécurité nationale du président désigné Joe Biden, a également appelé à la libération de l’opposant et à « tenir responsable » les auteurs de son empoisonnement en août.
Le président du Conseil européen Charles Michel a jugé cette arrestation « inacceptable », exigeant aussi sa libération « immédiate ». La Lituanie a même appelé à adopter de nouvelles sanctions contre Moscou et la Pologne à une « réponse rapide et sans équivoque au niveau de l’UE ». La France a pour sa part indiqué avoir appris l’information « avec une très forte préoccupation », appelant aussi « à sa libération immédiate ».