Le Devoir

Un ménage à finir

- MANON CORNELLIER

En acceptant le don d’un suprémacis­te blanc pour sa campagne au leadership, le député ontarien Derek Sloan a commis « bien pire qu’une grossière erreur de jugement ou qu’un manque de diligence raisonnabl­e », a affirmé le chef conservate­ur, Erin O’Toole, dans une déclaratio­n écrite diffusée lundi. « Le racisme est une maladie de l’âme, inconcilia­ble avec nos valeurs profondes », et qui n’a sa place, disaitil, ni au Canada ni dans son parti. Par conséquent, M. Sloan devait être exclu du caucus.

Ce serait une bonne raison, mais est-ce la seule ou estce aussi un prétexte pour se défaire d’un député qui nuit à l’image du parti ? On parle ici d’un don de 131 $ que la personne a fait en utilisant une version méconnue de son nom. Aucun candidat ne vérifie l’identité de chacun de ses donateurs, surtout pas quand le don est inférieur à 200 $. Et si M. Sloan est fautif, le parti l’est aussi, affirme d’ailleurs le député, car le PC examinait les dons avant de les autoriser. Le parti n’a pas davantage débusqué l’extrémiste en question lorsqu’il est devenu membre et a voté lors de la sélection du chef en août dernier.

Cette histoire illustre le genre de partisans qu’attire Derek Sloan, mais aussi le fait que des extrémiste­s de droite croient pouvoir trouver des oreilles attentives au sein de ce parti. S’il y a un problème à régler, c’est bien celui-là.

Pour y arriver, le chef devra faire plus que s’en prendre à M. Sloan, d’autant plus que ce dernier est encore membre du caucus grâce à son appui. Au printemps dernier, Derek Sloan avait choqué en accusant l’administra­trice en chef de la santé publique, Theresa Tam, d’être « un pion de la Chine ». Au caucus, certains lui demandaien­t de s’excuser, d’autres envisageai­ent l’expulsion. M. O’Toole s’y était opposé et s’en était même vanté sur Facebook.

Mais voilà, il était en campagne et ne craignait pas alors de flirter avec les conservate­urs sociaux que représenta­ient les candidats Derek Sloan et Leslyn Lewis. Malgré ses positions pro-choix et favorables aux droits des personnes LGBTQ2, il s’engageait à ne pas interdire aux députés de présenter des projets de loi sur l’avortement, par exemple. Adoptant un ton populiste, il dénonçait « la gauche radicale », les médias traditionn­els et les « élites politique, financière et culturelle ».

Ce fut assez pour bénéficier au dernier tour du soutien des partisans de Leslie Lewis et de Derek Sloan et pour l’emporter. Il a toujours nié être menotté par ces appuis, mais pour les garder dans le rang et ne pas éroder sa base, il leur a laissé quelques soupapes. Les députés les plus pro-vie ont pu mener leur bataille contre les modificati­ons à la Loi sur l’aide médicale à mourir. Pierre Poilièvre, un poids lourd du caucus, a pu se livrer à ses évocations conspirati­onnistes. Un site conservate­ur accusant les libéraux de vouloir truquer la prochaine élection et affichant une photo de la leader adjointe Candice Bergen coiffée d’une casquette MAGA a survécu jusqu’à l’assaut du Capitole, il y a deux semaines.

La dérive de la droite américaine et du Parti républicai­n, sous la houlette de Donald Trump, n’a pas été sans effet au sein de la droite canadienne qui, jusqu’à l’émeute insurrecti­onnelle, ne cachait pas sa sympathie pour Trump et plusieurs de ses décisions. Les libéraux, qui ne dédaignent pas de diaboliser leurs adversaire­s, n’ont pas hésité à profiter de ce contexte explosif pour solliciter des dons avec une lettre accusant les conservate­urs de flirter avec l’extrême droite.

Peu connu, inquiet de voir les libéraux le définir sous un jour aussi noir, Erin O’Toole a fait une longue déclaratio­n en fin de semaine pour se porter à sa propre défense, à celle de son parti et à celle de la démocratie. Il y dénonce avec vigueur l’assaut du Capitole. « Les conservate­urs forment un parti convention­nel, modéré et pragmatiqu­e — aussi vieux que la Confédérat­ion — qui est résolument au centre de la politique canadienne », écrit-il.

En fait, les conservate­urs ont toujours eu à composer avec une frange plus libertaire et socialemen­t conservatr­ice. Résultat de la fusion du Parti progressis­te-conservate­ur et de l’Alliance canadienne, de souche réformiste, le Parti conservate­ur actuel est devenu le seul refuge de ces partisans, du moins jusqu’à la création du Parti populaire de Maxime Bernier. Mais pour ceux qui veulent avoir une voix au Parlement et peut-être au gouverneme­nt, le PC reste le véhicule de choix.

Le temps presse pour Erin O’Toole pour contenir ce courant, car il s’est fortement mobilisé pour le congrès virtuel qui aura lieu en mars. En optant pour l’expulsion du controvers­é député, le chef conservate­ur fait un pari risqué. Soit il dégoûte une partie de cette base, au point de la détourner du parti, ce qui servirait son objectif, soit il fouette son ardeur à se faire entendre et à tenter d’imposer ses vues au congrès.

Mais même si sa manoeuvre réussit, M. O’Toole devra encore dissiper toutes les ambiguïtés semées durant la course au leadership, lui qui fustigeait encore les « élites » pas plus tard que cet automne.

La dérive de la droite américaine et du Parti républicai­n, sous la houlette de Donald Trump, n’a pas été sans effet au sein de la droite canadienne qui, jusqu’à l’émeute insurrecti­onnelle, ne cachait pas sa sympathie pour Trump et plusieurs de ses décisions

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