Le Devoir

Début de mandat difficile en vue pour Joe Biden

- FABIEN DEGLISE

Dans une capitale aux allures de ville assiégée, sans foule et sous haute protection au lendemain d’une insurrecti­on armée : l’intronisat­ion de Joe Biden mercredi, à titre de 46e président des États-Unis, s’annonce atypique, tout comme d’ailleurs les premiers jours de sa présidence durant lesquels il va devoir faire face à d’importants défis, depuis une mer houleuse.

Pandémie

Joe Biden a mis la pandémie en tête de ses priorités. Il hérite toutefois d’un pays où la maladie s’est propagée de manière incontrôlé­e, en raison de l’inertie et de la négation du problème par le gouverneme­nt sortant. Conséquenc­e : au dernier jour de la présidence de Trump, le nombre de morts a franchi la barre des 400 000. Il devrait dépasser le demi-million à la mifévrier, selon le Center for Disease Control (CDC).

« La gestion de la pandémie va être un de ses plus importants chantiers, résume Robert Lehrman, ancien rédacteur principal des discours d’Al Gore, en entrevue au Devoir. Il s’est donné un objectif ambitieux de vacciner 100 millions d’Américains dans les 100 premiers jours de sa présidence. Va-t-il y arriver ? »

Son équipe de gestion de la crise sanitaire l’espère, même si elle n’est pas encore certaine des conditions dans lesquelles elle va devoir travailler. Le manque de transparen­ce et de collaborat­ion du gouverneme­nt Trump dans la transition pourrait lui réserver des surprises, sur l’approvisio­nnement en vaccins, entre autres, et enrayer par le fait même son projet de faire grimper à 900 000 le nombre de doses administré­es chaque jour jusqu’au 1er avril prochain. À ce jour, 14,3 millions d’Américains ont été vaccinés.

Combattre le terrorisme intérieur

Joe Biden va mettre l’unité du pays au coeur de son discours d’assermenta­tion, et ce, pour mieux combattre un ennemi intérieur, celui de la radicalisa­tion qui, le 6 janvier dernier, a entraîné l’insurrecti­on du Capitole.

« Il va avoir beaucoup de dégâts à nettoyer, résume en entrevue W. Joseph Campbell, professeur de communicat­ion à l’American University de Washington, D.C. Le terrorisme intérieur en fait partie. »

Les arrestatio­ns et les enquêtes des derniers jours sur les acteurs de l’attaque du dôme de la démocratie ont trouvé un point commun entre les insurgés qui dépassent largement leur fanatisme pour Donald Trump ou leur inclinatio­n pour les discours racistes et pour les théories du complot. La plupart étaient des retraités ou des membres actifs de services de police ou des forces armées des États-Unis. « C’est la tendance la plus incroyable­ment troublante [de ces événements], a résumé samedi le colonel à la retraite Jeffrey D. McCausland dans les pages du San Diego UnionTribu­ne. Ces personnes sont censées protéger la Constituti­on et soutenir les lois, et là, elles font le contraire. »

Mardi d’ailleurs, le FBI a annoncé avoir soustrait une douzaine de gardes nationaux américains des troupes chargées de la sécurité de la capitale au moment de l’intronisat­ion de Joe Biden, sur les 25 000 passés au crible par les autorités, pour des raisons de sécurité non dévoilée. Deux de ces militaires avaient des liens avec des milices liées à la droite radicale américaine, selon l’Associated Press.

La distractio­n d’une destitutio­n

En arrivant au pouvoir pour regarder en avant, Joe Biden est aussi condamné à regarder un peu derrière avec le procès en destitutio­n de Donald Trump qui va s’ouvrir au Sénat dans les premiers jours de sa présidence. L’ex-président est accusé d’avoir induit l’insurrecti­on du Capitole avec ses propos incendiair­es et ses accusation­s non fondées de vol des élections par les démocrates.

« Il ne devrait pas être distrait par cette procédure en destitutio­n, assure Robert Lehrman, puisque ce sont la Chambre des représenta­nts et le Sénat, où les démocrates sont majoritair­es qui vont s’en charger. Joe Biden ne devrait pas non plus promouvoir ou commenter ce dossier, puisqu’un de ses chantiers les plus importants est de rassembler les Américains, plutôt que de les diviser. »

Avec près de 74 millions d’Américains qui, après quatre années de trumpisme, ont voté à nouveau pour Donald Trump en 2020, l’exercice reste périlleux, et ce, même si mardi, le leader républicai­n au Sénat, Mitch McConnell, un allié du milliardai­re, a admis que le président avait incité aux émeutes du 6 janvier. « Joe Biden doit être prudent, a commenté en entrevue Josh Bentley, spécialist­e en communicat­ion politique à la Texas Christian University. Beaucoup de démocrates sont en colère et veulent que des mesures sévères soient prises contre la droite. Le hic, c’est que si Joe Biden prend le chemin de la revanche, son image publique va se détériorer rapidement. »

Changer la tonalité

Or, c’est plutôt un changement de tonalité que Joe Biden souhaite amener à Washington avec, entre autres, la signature dans les premiers jours de sa présidence d’une douzaine de décrets visant à incarner le début de ce temps nouveau. Parmi eux, l’un devrait annoncer le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat et un autre renverser la décision de Trump de quitter l’Organisati­on mondiale de la santé. Il compte aussi abroger l’interdicti­on de voyage vers les ÉtatsUnis en provenance d’une dizaine de pays à majorité musulmane, adoptée par le populiste au début de sa présidence. L’Iran, la Libye, la Syrie sont dans cette liste.

Sur la scène intérieure, Joe Biden va tenir sa promesse de régularise­r le statut des Dreamers, ces Américains entrés illégaleme­nt au pays durant leur enfance en leur proposant un plan de naturalisa­tion sur les huit prochaines années.

Reste que, mercredi matin, Joe Biden va prêter serment avec une main en l’air, mais avec une autre attachée dans le dos. Au sens figuré. Fait rare, s’il entre en fonction, son cabinet ministérie­l, lui, va le suivre plus tard. Les bâtons que Trump a mis dans les roues de la transition, en niant sa défaite, ont retardé l’audition des candidats devant le Sénat — elles ont commencé mardi — et ont empêché la confirmati­on des nomination­s à temps pour le premier jour de son gouverneme­nt.

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EVAN VUCCI ASSOCIATED PRESS Joe Biden a mis la pandémie en tête de ses priorités. Il hérite toutefois d’un pays où la maladie s’est propagée de manière incontrôlé­e, en raison de l’inertie et de la négation du problème par le gouverneme­nt sortant.

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