Un pays divisé et sur le qui-vive
« C’est un moment extrêmement triste de notre histoire »
Les scènes sont irréelles. Dignes d’un pays en guerre. Mais cette fois, la menace vient de l’intérieur. Dans une capitale assiégée, où les rues vides du centre-ville sont davantage peuplées de militaires que d’habitants, les États-Unis sont sur le point de vivre la manifestation la plus aboutie de la division qui gangrène leur peuple.
Alors que le pays tout entier retiendra son souffle, Joe Biden jurera mercredi devant le président de la Cour suprême des États-Unis de défendre la Constitution américaine. Un moment censé être souligné dans la joie et les célébrations, mais qui gravera l’Histoire en raison du caractère inédit du dispositif de sécurité déployé pour assurer une transition « pacifique » du pouvoir.
« C’est un moment extrêmement triste de notre histoire, soulignait Mary Hastings-Moore, rencontrée dimanche sur la Pennsylvania Avenue, à mi-chemin entre la Maison-Blanche et le Capitole. On devra prendre le temps de bien réfléchir à ce qui s’est passé dans les quatre dernières années pour comprendre comment on en est arrivés là. »
Là, ce sont ces points de contrôle érigés dans une capitale occidentale. Ce sont ces militaires déployés en plus grand nombre qu’en Irak, en Afghanistan et en Syrie, combinés. Ce sont ces dizaines de millions d’Américains qui croient dur comme fer que l’élection a été volée.
Un événement pivot
« Je pense que ce sera un événement pivot de notre histoire, de l’assaut du Capitole jusqu’à l’intronisation », mentionne Meaghan Hoffman, interrompue dans son jogging matinal à l’intérieur de la zone sécurisée. « J’espère qu’on arrivera à se rassembler après ça. Qu’on retrouvera un espace où on pourra avoir des opinions différentes, mais où on pourra discuter. »
Mais même le souvenir de cette intronisation aux allures inédites sera dicté par le clivage qui taraude la société américaine, fait remarquer Kamie H. « Tout dépendra de l’endroit où les gens s’informeront. Tout penche désormais d’un côté ou de l’autre, il n’y a plus rien de nuancé », déplore la jeune femme.
« Les médias sociaux et la presse ont été complices de tout ça, pense Mary Hastings-Moore. Ils ont permis aux mensonges de Donald Trump de trouver une résonance. » Des mensonges qui ont désormais fait de la capitale américaine, haut lieu de pouvoir de la première démocratie au monde, une véritable forteresse. « Il ne faut pas oublier à quel point la démocratie peut être fragile », souffle la dame, qui dit néanmoins espérer que les Américains sauront se recentrer sur les valeurs qui leur sont propres.
Des valeurs dictées par un idéal de liberté et de souveraineté populaire qui a fait de cette république, promise à une destinée manifeste, une superpuissance admirée aux quatre coins du globe.
« Je crois fermement en la mission fondamentale des États-Unis. Je crois en la liberté, en la justice, aux droits de la personne. Et j’ai espoir qu’avec le temps, on va retrouver ces valeurs », dit-elle. Des valeurs qui définissent ce que sont les États-Unis, hier comme aujourd’hui.
« On est une terre d’accueil, une terre d’opportunités où on peut s’exprimer sans craindre pour notre sécurité », glisse Meaghan Hoffman, qui se dit toujours fière d’être Américaine au milieu de cette tempête.
« Être Américain, ça veut encore dire être au top du monde, affirme Joe Rodgers, à côté d’une pile de clôtures qui allaient servir à renforcer le dispositif de sécurité. Tout le monde nous regarde et tout le monde veut venir ici. On est le pays de la liberté. »
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat — Le Devoir.