Janet Yellen au chevet de l’économie américaine
L’ancienne présidente de la Fed sera la première femme à occuper la fonction de secrétaire au Trésor aux États-Unis
Janet Yellen ne sera pas seulement la première femme à occuper la fonction de secrétaire au Trésor aux États-Unis. Elle est surtout la meilleure personne qu’on pouvait trouver pour aider l’économie et les familles à se relever, dit son ami l’économiste québécois Pierre Fortin.
Il dit « Janet » lorsqu’il parle de l’économiste et ancienne présidente de la Réserve fédérale américaine (Fed) que Joe Biden a choisie comme l’équivalent de sa ministre des Finances et de l’Économie. Au moment de faire son doctorat, à l’Université de Californie à Berkeley, au tournant des années 1970, le jeune Pierre Fortin avait eu comme professeur son futur mari et futur Prix Nobel d’économie, George Akerlof. « Il avait à peine quelques années de plus que moi. C’était à l’époque des protestations contre la guerre du Vietnam, de la révolte dans People’s Park… »
Les parcours professionnels des deux hommes devaient tant et si bien s’entrecroiser par la suite qu’ils ont fini par se présenter leurs conjointes respectives et qu’une amitié s’est tissée entre les deux couples. « Il est facile de l’oublier après ces dernières années, mais on trouve aux États-Unis parmi les gens les plus extraordinaires au monde. Pas seulement du point de vue intellectuel, mais aussi pour ce qui est du coeur », dit le professeur émérite de sciences économiques à l’UQAM, dont la conjointe, Michèle Fortin, est notamment l’ancienne patronne de Télé-Québec et de Radio-Canada. « George et Janet sont un peu comme moi et Michèle à une autre échelle ; George est surtout un penseur alors que Janet est une penseuse doublée d’une remarquable gestionnaire des opérations. »
De Brooklyn à la Fed
Fille d’une enseignante et d’un médecin qui oeuvraient dans un quartier ouvrier de Brooklyn, à New York, Janet Yellen a déjà raconté avoir eu « un coup de foudre » à l’université pour ce domaine d’étude qui permettait de marier, d’un côté, les mathématiques et une pensée systématique et, de l’autre, la défense de l’emploi et du bienêtre des gens. Comme économiste, elle se fera connaître à la fois par ses travaux sur les questions macroéconomiques, comme l’emploi, le commerce international et l’inflation, mais aussi sur des enjeux sociaux, comme les inégalités et la pauvreté.
« C’est un esprit qui embrasse large. Elle comprend l’économie et la politique, mais elle démontre aussi de l’empathie et une compréhension profonde des problèmes sociaux », disait au Financial Times l’automne dernier l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi. « C’est très, très rare de trouver une telle combinaison. »
Pierre Fortin le confirme. « Janet fait ses devoirs et s’assure de savoir de quoi elle parle lorsqu’elle s’attaque aux problèmes sociaux. C’est une visionnaire en même temps qu’elle a les deux pieds sur terre. On ne peut pas dire qu’elle soit de gauche, comme on l’entend ici. Je dirais plutôt qu’elle est au centre du Parti démocrate américain. »
Cela se verra, se souvient-il, lorsqu’elle présidera le comité des conseillers économiques du président démocrate, Bill Clinton, mais peut-être plus encore lors de ses années à la Fed, où elle finira par être la première femme à se hisser au poste de présidente. Résistant aux pressions de ceux qui, par crainte d’une flambée inflationniste, auraient voulu qu’elle remonte les taux d’intérêt plus vite, elle contribuera, de 2014 à 2018, à réduire le chômage à son niveau le plus bas en 17 ans (4,1 %) tout en gardant l’inflation sous la cible de 2 %. Le président Trump la remerciera en en faisant la première personne, en 35 ans, à ne pas avoir droit à au moins un deuxième mandat à ce poste.
Grosse commande
Forte d’une exceptionnelle crédibilité et d’un rare respect aussi bien dans le camp démocrate que dans le camp républicain, Janet Yellen ne devrait pas avoir de mal à se voir confirmée par le
Congrès dans son nouveau rôle. « C’est vrai que ce sera la première femme secrétaire au Trésor, admet avec agacement Pierre Fortin. Mais c’est surtout la meilleure personne pour occuper le poste. »
Elle aura du pain sur la planche, dit son ami. À 8,6 % en décembre dernier, le taux de chômage aux ÉtatsUnis est encore loin des 3,5 % qu’il affichait encore en février, avant que la crise de la COVID-19 ne frappe la première économie du monde de plein fouet. Comme la Fed a déjà abaissé ses taux d’intérêt au plancher depuis longtemps, Janet Yellen ne pourra compter que sur ses propres politiques budgétaires.
Profitant d’une (mince) majorité dans les deux chambres du Congrès, Joe Biden aura sans doute retenu la leçon de la reprise douloureusement lente des années Obama, après la dernière crise financière, et prendra garde de ne pas se montrer trop timoré dans ses efforts de relance économique. Il a promis, la semaine dernière, d’au moins doubler les 2000 milliards $US déjà injectés en mesures d’aide le printemps dernier, ce qui équivaudrait à un effort total cinq fois supérieur au plan de relance de son ancien patron.
Afin d’avoir le maximum d’impact possible, cet argent devra prioritairement aller à la vaccination ainsi qu’aux travailleurs et aux petites entreprises victimes de la crise, a expliqué mardi Janet Yellen devant le comité du Sénat chargé de sa confirmation. Il est notamment question de relever les prestations d’assurance-chômage, le salaire minimum et les subventions pour enfants. « Il faut voir grand en ces jours sombres », a-t-elle déclaré. « Sans nouvelle action, nous risquons une récession plus longue et plus dure et des cicatrices sur l’économie à long terme. »
Bien qu’importante, la réduction des déficits devra attendre et se fera entre autres par l’annulation de certaines baisses d’impôt accordées par Donald Trump aux riches et aux plus grandes compagnies, a précisé Janet Yellen. Elle profitera sans doute aussi des faibles taux d’intérêt pour lancer de vastes programmes de réinvestissement dans les ponts, les routes, les écoles et les autres infrastructures publiques qui en ont cruellement besoin, dit Pierre Fortin. « Ironiquement, cela devrait profiter aux régions et aux populations qui ont voté pour Donald Trump. »
Dans ce contexte, les Fortin se doutent bien qu’ils auront moins souvent la chance de voir leurs amis George et Janet les prochaines années. « C’est quand même une belle preuve de dévouement de la part d’une femme qui aura 75 ans en août, dit Pierre Fortin. Faut que tu aies envie d’aider le monde pour accepter une pareille job à cette étape de ta vie quand tu pourrais, à la place, te prélasser en Provence. »
C’est une visionnaire en même temps que d’avoir les deux pieds sur terre. On ne peut pas dire qu’elle soit de gauche, comme on l’entend ici. Je dirais plutôt qu’elle est au centre du Parti démocrate américain. »
PIERRE FORTIN
C’est un esprit qui en embrasse large. Elle comprend l’économie et la politique, mais elle démontre aussi de l’empathie et une compréhension profonde des problèmes sociaux. »
MARIO DRAGHI