Le Devoir

La pandémie du vieillisse­ment

- Eveline Gaillardet­z Urgentolog­ue, hôpital de Verdun, médecin en chef des soins à domicile, CLSC de Verdun

En ce début d’année 2021, rien ne va plus dans les hôpitaux montréalai­s. Les lits sont pleins à 150 % un peu partout et on s’en va tout droit vers le point de rupture.

La deuxième vague de COVID nous frappe de plein fouet, et force est de reconnaîtr­e que le réseau de la santé n’est toujours pas prêt.

Alors qu’on impose un reconfinem­ent, avec couvre-feu de surcroît, je me demande si cela va réellement changer quelque chose.

Pendant que les Québécois mettent leur vie sur pause, voient leur santé physique et mentale se dégrader et regardent, impuissant­s, l’économie s’effondrer, nous n’avons toujours pas traité le noeud du problème.

Depuis le début, on nous répète que nous nous battons pour éviter que notre système de santé ne s’effondre. Or, les ambulances continuent d’alimenter nos salles d’urgence, tous les jours, de patients qui ne requièrent aucunement le plateau technique de l’hôpital.

Est-ce qu’on parle de cela ? De ces personnes âgées, frêles, qui demandent des soins simples, des soins qui visent d’abord leur confort, mais qui se retrouvent, malgré elles, sur une civière dans la jungle de l’urgence ?

Je vais dire les choses telles qu’elles le sont : nos hôpitaux sont remplis de vieux. Je ne les blâme pas, ces vieux que je soigne à domicile depuis maintenant 10 ans et que j’aime d’amour, non, je ne les blâme pas. La majorité du temps, ils n’ont rien demandé. Ils ont certes demandé à vivre paisibleme­nt, dans une résidence avec des services et des activités, mais ils n’ont pas demandé à être pris en otage par ce système de soins hospitalo-centriste.

En élisant domicile dans une résidence soleil ou arc-en-ciel, ces personnes âgées ne savaient pas que l’infirmière travaillai­t seule, sans soutien, sans aucun médecin sur qui compter. Cette même infirmière, donc, n’a d’autre choix que de se tourner vers le 911 lorsqu’elle est inquiète pour ses patients. Même si ce n’est pas très grave. Même si ça peut très bien se soigner à domicile. Même si le contexte se prête davantage à des soins palliatifs. L’infirmière a beau chercher dans son carnet de contacts, elle n’a aucune équipe médicale de garde sur laquelle elle peut compter.

Même si tout le monde s’encabane et respecte les consignes de la Santé publique, le virus, lui, continue de se propager dans les milieux de vie pour aînés. Ces personnes âgées alors atteintes de la COVID ont certes besoin de soins, mais n’ont pas nécessaire­ment besoin de l’hôpital.

Des soins de soutien et des soins de confort peuvent être prodigués à domicile. Des équipes médicales bien arrimées avec les équipes du CLSC déjà au front peuvent intervenir et offrir des soins à domicile et dans les milieux de vie des aînés. Tout cela est possible, mais on ne le fait pas. Pourquoi ?

On a passé les dernières années à comptabili­ser la performanc­e des médecins de famille au cabinet, à mesurer leur nombre de patients inscrits et leur assiduité. Pendant ce temps, la couverture médicale pour les soins à domicile, ce qui comprend résidences pour aînés et ressources intermédia­ires, n’a jamais été à l’ordre du jour de nos gouverneme­nts. Implanter des équipes médicales en CLSC pour les soins à domicile, de garde 24/7, dans tous les territoire­s de la province est une idée vieille comme le monde, qui n’arrive pourtant jamais à se frayer un chemin jusqu’à nos décideurs.

La problémati­que des aînés malades qui consultent à répétition à l’hôpital pour des maux qui auraient pu se régler à domicile est une réalité bien connue des urgentolog­ues, depuis belle lurette malheureus­ement.

Bien avant l’arrivée de ce fichu virus dans nos vies, nous étions déjà en pandémie : la pandémie du vieillisse­ment accéléré de la population. C’est de cette crise sanitaire qu’il faut s’occuper, de toute urgence.

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