Rafael Payare et la question française
Le chef signe une première collaboration avec le pianiste Charles Richard-Hamelin
Le second concert de Rafael Payare en webdiffusion (payante) marque sa première collaboration avec Charles Richard-Hamelin et pose, par ailleurs, de troublantes interrogations.
Rafael Payare et le pianiste québécois ont choisi Mozart, et plus particulièrement le 24e Concerto pour piano, l’un des deux grands concertos « prébeethovéniens » (avec le 22e) du compositeur autrichien. Dans le préambule, Charles Richard-Hamelin insiste sur l’importance des silences, ces points d’interrogation dont est faite cette musique.
Mozart recréé
Nous orienterons aussi votre écoute sur l’admirable rondeur détachée et l’égalité du jeu (passage entre 26 min 15 s et 27 min 05 s de la vidéo) et sur la recréation interprétative que représentent les cadences, ces improvisations pour piano seul à la fin des 1er et 3e mouvements. Charles Richard-Hamelin joue ses propres cadences, et celle pour le 1er mouvement (à partir de 32 min 18 s) est un petit bijou.
En tant qu’accompagnateur, Rafael Payare n’est pas effusif dans sa relation avec le soliste, mais il cadre les choses avec beaucoup d’efficacité. On sent le travail fait en amont et le duo va dans la même direction. On a hâte à la vaccination, car avec la distanciation, le son est un peu dilué dans l’espace. Or, Mozart fait beaucoup dialoguer vents et piano et le mouvement lent demande un son plus compact.
En matière de programmation, l’association de Ravel avec Fairytale Poem de Goubaïdoulina est une excellente idée. Cette partition de 1971, sorte de « Goubaïdoulina avant Goubaïdoulina » orchestrée pour 3 flûtes, 3 clarinettes, clarinette basse, harpe, piano, marimba, vibraphone, cymbales, 10 violons I, 8 violons II (avec parfois les lignes de chacun subdivisées), 6 altos, 4 violoncelles et 2 contrebasses explore des couleurs que l’on peut associer à « Laideronette impératrice des pagodes » de Ma mère l’Oye et prépare à l’exploration de la finesse des textures orchestrales.
La surprise
Le sujet du jour est néanmoins « Payare, l’OSM et la musique française ». Où allons-nous avec cet apanage et que va-t-il se passer ? Pendant le processus de sélection, Payare a été testé avec L’apprenti sorcier de Dukas et un concerto de Poulenc, deux oeuvres atypiques qui ne disent rien de sa connaissance, de sa maîtrise et de ses idées sur le style debussyste ou ravélien.
Après l’exécution de la suite de Ma mère l’Oye (on aurait aimé le ballet, surtout en fin de concert) Payare se montre très content de l’orchestre. Oui, mais ce n’est pas comme cela que ça marche.
L’orchestre, il va falloir le nourrir avec des idées et une exigence autrement supérieures, par exemple sur ce que veut dire « expressif » chez Ravel. On note ainsi, dès la première phrase, une différence de vibrato du solo de la 1re et de la 2e flûte…
Le morceau qui fait carrément froid dans le dos est « Petit Poucet » (à partir de 54 min 40 s), puisque dans l’écriture de Ravel les liaisons donnent une pulsation claire à la musique. Rien ne transparaît dans cet a-plat. Et qui peut croire que l’entrée de cor anglais est « expressive » dans la nuance « piano » ? Il ne s’agit pas de copier Charles Dutoit, dont on trouve même sur YouTube l’enregistrement montréalais, du ballet, superposé à la partition (écoutez à partir de 14 min 36 s !), mais de traduire la mobilité et la souplesse d’une phrase ravélienne par le phrasé, le respect des soufflets et dynamiques, puis, au-delà, de raconter en sons. Pourquoi Ravel marque-t-il « retenu » à l’amorce de la coda du « Jardin féerique » (1 h 9 min 42) ? Pour créer une seconde de magie unique dans toute l’histoire de la musique !
Il faudra entendre tout cela en salle, évidemment. Peut-être aussi Rafael Payare a-t-il voulu simplement laisser aller la bride et jauger la « tradition française de l’OSM ». Il aura entendu de superbes textures (écoutez la fin des « Entretiens de la Belle et de la Bête »). C’est tout.
Ce n’est pas en reprenant quelques oeuvres à la veille des tournées, où ce répertoire est en demande, qu’une tradition a pu être maintenue au niveau documenté et admiré (quant à un potentiel élargissement du répertoire français, n’en parlons même pas).
L’OSM vit internationalement sur un capital et une image forgés il y a 30 ans. Le tandem OSM-Nagano a entretenu des illusions. Le nouveau devra mieux faire.