Le Devoir

Québecor exige un « recentrage » de Radio-Canada

Pierre Karl Péladeau demande que des conditions de licence plus strictes soient imposées au diffuseur public

- BORIS PROULX CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Radio-Canada a perdu son âme en devenant une organisati­on commercial­e obsédée par la recherche des revenus publicitai­res, de l’avis du magnat des médias privés québécois Pierre Karl Péladeau, qui demande que des conditions de licence beaucoup plus strictes soient imposées au diffuseur public.

L’ex-politicien et actuel président et chef de la direction de Québecor a dressé un portrait peu flatteur du réseau de télévision publique, qui est aussi le principal concurrent de sa chaîne privée TVA, dans le cadre d’audiences du Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC) mardi. Selon M. Péladeau, la Société RadioCanad­a (SRC) fait preuve de concurrenc­e déloyale envers les réseaux privés, notamment en adoptant des stratégies publicitai­res agressives, en maintenant sa plateforme payante Tou.tv Extra sur le Web et en se détournant de sa mission d’intérêt public.

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« Radio-Canada effectue des offres publicitai­res aux annonceurs qui sont complèteme­nt hors des normes de ce qui se fait dans le privé, dit-il, alors que la SRC est très généreusem­ent financée par le Trésor public. »

Au moment où l’industrie de la télévision canadienne subit d’importante­s difficulté­s financière­s liées à l’apparition de nouveaux compétiteu­rs sur le Web, comme Netflix, Québecor dénonce les « stratégies commercial­es et concurrent­ielles » de Radio-Canada, qui auraient pour conséquenc­e d’affaiblir les télédiffus­eurs privés du pays.

Le controvers­é service de marketing de contenu Tandem n’aurait ainsi pas sa place, pas plus que les publicités sur les plateforme­s Web de Radio-Canada. Par exemple, son applicatio­n OhDio appose du contenu publicitai­re aux émissions de radio qu’elle rediffuse, pour lesquelles le CRTC ne permet pas la publicité. « Comment faire indirectem­ent ce qu’on ne peut pas faire directemen­t ? » a conclu Pierre Karl Péladeau.

Tou.tv Extra

L’homme d’affaires ne s’oppose pas à l’existence du service Tou.tv, qui rediffuse des émissions de télévision sur le Web, mais en a contre sa version payante, appelée Extra. En plus de concurrenc­er les médias privés pour ce qui est des revenus publicitai­res, voilà que l’Extra de Tou.tv rivalise aussi avec eux pour l’acquisitio­n de contenu, faisant de RadioCanad­a un télédistri­buteur, affirme-t-il.

Lundi dernier, la grande patronne de CBC / Radio-Canada, Catherine Tait, présentait cette plateforme numérique comme « notre meilleur rempart contre les géants comme Netflix, Apple, Disney et Amazon ». Quand on lui a demandé pourquoi les francophon­es doivent payer l’Extra de Tou.tv alors que la plateforme semblable CBC Gem est gratuite en anglais, Mme Tait a mentionné le besoin « d’approfondi­r la relation avec [ses] téléspecta­teurs » et l’importance des montants des revenus d’abonnement pour réinvestir dans la production de contenu. Or, les détails quant à la manière dont les fonds sont dépensés sur le Web demeurent opaques, de l’avis de groupes militants pour un meilleur service public.

« Ce ne sont pas les sources de financemen­t qui manquent à Radio-Canada », a répliqué le patron de Québecor mardi. Avec les subvention­s gouverneme­ntales (1,2 milliard par année) et les redevances des câblodistr­ibuteurs, Radio-Canada pourrait s’affranchir de ses revenus publicitai­res (environ 250 millions par année) et de ses revenus d’abonnement (environ 125 millions par année), selon M. Péladeau. La BBC, au Royaume-Uni, fonctionne ainsi sans publicité, mais avec un plus grand budget du gouverneme­nt.

Finalement, le géant des médias privés croit que le CRTC ne devrait pas alléger les obligation­s du diffuseur public pour lui permettre plus de « flexibilit­é » sur le Web, comme le souhaite RadioCanad­a. Québecor demande que le renouvelle­ment de ses licences de diffusion soit accompagné de sévères conditions quant au mandat de la SRC, recentré « vers une réelle mission d’intérêt public ». On suggère notamment d’établir des seuils minimums de contenu canadien (jusqu’à 90 % aux heures de grande écoute) et des pourcentag­es obligatoir­es de dépenses pour certaines catégories, comme les nouvelles (30 %), le documentai­re (10 %) ou des émissions d’analyse, d’actualité, religieuse­s ou d’éducation (20 %). Radio-Canada a réfuté les allégation­s de Québecor à son sujet, mardi. La Société dit respecter scrupuleus­ement les lois qui l’encadrent et ne s’adonne à aucune pratique anticoncur­rentielle.

La SRC dit respecter les lois qui l’encadrent et qu’elle ne s’adonne à aucune pratique anticoncur­rentielle

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