Le Devoir

Présage de nouvelles tensions, vu les visées protection­nistes de Washington

Le plan « Buy American » du nouveau président risque de perturber la chaîne d’approvisio­nnement canado-américaine, avertissen­t des experts

- BRETT BUNDALE

Les entreprise­s canadienne­s qui répondent à des appels d’offres du gouverneme­nt américain pourraient être exclues du processus d’approvisio­nnement si Joe Biden suit son plan protection­niste « Buy American » après son arrivée à la présidence des États-Unis mercredi, selon des experts des milieux des affaires et du commerce.

Les fabricants et les exportateu­rs au Canada fournissen­t une vaste gamme d’équipement­s aux projets de travaux publics en sol américain, allant des bâtiments scolaires aux installati­ons de traitement des eaux usées.

Mais la promesse de M. Biden de donner la priorité aux fournisseu­rs américains et aux produits fabriqués aux ÉtatsUnis pourrait nuire aux entreprise­s canadienne­s en les empêchant de soumission­ner, surtout lorsqu’il dévoilera son plan d’infrastruc­ture le mois prochain.

Cette mesure pourrait ainsi perturber la chaîne d’approvisio­nnement Canada–États-Unis et entraîner d’importante­s tensions commercial­es, selon des experts.

Pourtant, les entreprise­s les plus durement touchées seront celles directemen­t impliquées dans les contrats du gouverneme­nt américain, disent-ils.

« Si vous êtes dans le domaine des projets d’approvisio­nnement pour le gouverneme­nt, comme les infrastruc­tures municipale­s, ce sont les entreprise­s les plus à risque », a déclaré Dennis Darby, président et chef de la direction de Manufactur­iers et exportateu­rs du Canada.

Des règles plus strictes aux États-Unis pour les achats fédéraux pourraient nuire à la fabricatio­n des deux côtés de la frontière, a-t-il prédit. « Les fabricants sont tellement intégrés partout en Amérique du Nord », a ajouté M. Darby, soulignant que les entreprise­s canadienne­s fabriquent en grande partie les « pièces détachées » qui entrent dans la chaîne d’approvisio­nnement continenta­le.

« Lorsque les fabricants américains réussissen­t, les fabricants canadiens réussissen­t aussi. Nous faisons tous partie de la même chaîne d’approvisio­nnement. »

Selon des experts, les plus grands perdants à une époque de plus grand protection­nisme aux États-Unis seront probableme­nt un large échantillo­n d’entreprise­s canadienne­s qui fournissen­t des produits aux municipali­tés américaine­s.

Les entreprise­s qui fournissen­t des équipement­s de pompage pour les installati­ons d’aqueduc municipale­s, des tuyaux pour de nouvelles conduites d’égouts ou des structures pour de nouvelles aires de jeux pourraient toutes en souffrir, croient-ils.

Le Canada et les États-Unis ont déjà des dispositio­ns « d’achat national » tirées des accords commerciau­x existants. Les achats militaires, par exemple, excluent les fournisseu­rs étrangers.

Donald Trump a mis en place sa propre politique d’achat américain, mais on ne sait pas dans quelle mesure M. Biden pourra élargir ces dispositio­ns sans faire face à une contestati­on judiciaire, a déclaré l’expert commercial Lawrence Herman.

« La question sera de savoir si l’élargissem­ent de la dispositio­n Buy American est autorisé dans le cadre de l’accord [de l’Organisati­on mondiale du commerce] », a expliqué M. Herman, avocat spécialisé en commerce internatio­nal chez Herman et Associés.

Mais l’impact d’un programme Buy American sur les entreprise­s canadienne­s pourrait être généralisé, a-t-il noté.

« Il existe de nombreuses entreprise­s canadienne­s qui fournissen­t des produits aux municipali­tés américaine­s, a déclaré M. Herman. Elles pourraient toutes être touchées. »

Colin Robertson, l’un des négociateu­rs de l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis d’origine et de l’Accord de libre-échange nord-américain, a dit que le Canada devra arriver à la table avec des solutions.

« Si M. Biden réussit, vous entendrez des entreprise­s canadienne­s dire qu’elles se sentent exclues des projets américains », a prédit M. Robertson, vice-président et chercheur à l’Institut canadien des affaires mondiales.

« Il serait presque mieux de s’en occuper à la pièce, a ajouté l’ancien diplomate canadien. Si celui qui construit des ensembles de jeux en Ontario ne peut pas soumission­ner sur un nouveau terrain de jeu, ce que vous voulez faire, c’est essayer de convaincre la province et l’État de trouver ensemble une solution. »

Si le plan de relance massif de M. Biden est approuvé, la demande pour des matériaux de constructi­on — en particulie­r l’acier et l’aluminium — pourrait être énorme, a noté M. Robertson.

Toutefois, si le plan Buy American est accéléré et commence à avoir un impact sur les matériaux en provenance du Canada, il croit que les négociateu­rs devront faire remarquer qu’au bout du compte, ils obtiendrai­ent une meilleure valeur en incluant des matériaux produits au Canada.

« Si vous voulez une valeur maximale pour ces dollars, il vaut mieux ouvrir les enchères, a déclaré M. Robertson. Le défi avec ces types de programmes Buy American est que cela peut créer des cartels dans une localité qui feront grimper les prix. »

Si vous êtes dans le domaine des projets d’approvisio­nnement pour le gouverneme­nt, comme les infrastruc­tures municipale­s, ce sont les entreprise­s » les plus à risque DENNIS DARBY

Newspapers in French

Newspapers from Canada