Le Devoir

Les espaces de travail des bibliothèq­ues publiques finalement ouverts à tous

Pourquoi les directives sont-elles données plus rapidement et plus clairement aux bibliothèq­ues scolaires depuis le début de la pandémie ?

- CATHERINE LALONDE

À la bibliothèq­ue de McGill, depuis septembre, trois bulles d’étude ont été créées en conformité avec les lignes directrice­s provenant du » gouverneme­nt. Nos étudiants doivent réserver leur place. KATHERINE HANZ

Les espaces d’étude et de travail individuel des bibliothèq­ues publiques du Québec seront finalement ouverts à tous, et pas seulement aux étudiants, comme l’a d’abord annoncé le premier ministre François Legault dans son point de presse du 6 janvier dernier. Une nouveauté de pandémie pour les bibliothèq­ues publiques. Mais une habitude instaurée depuis déjà des mois pour les bibliothèq­ues collégiale­s et universita­ires. Y a-t-il deux poids, deux mesures dans la façon de gérer les bibliothèq­ues pendant la crise sanitaire ?

« Les bibliothèq­ues publiques (autres que celles tenues par des écoles ou université­s) sont fermées, sauf qu’il est possible d’aller au comptoir de prêt et d’étudier dans une salle ou un espace de travail individuel (comprendre ici une seule personne par salle/ espace) », a indiqué au Devoir Marjorie Larouche, des relations avec les médias du ministère de la Santé. Cette précision est arrivée 12 jours après l’annonce du premier ministre, avec un décret modifié qui cette fois suit ces propos. Et après une série d’interpréta­tions contradict­oires données par le ministère de la Santé.

Recoudre la fracture numérique

Pour mémoire, M. Legault avait annoncé publiqueme­nt l’ouverture dès le 11 janvier des espaces de travail dans les bibliothèq­ues publiques aux étudiants seulement. Cette limitation choquait plusieurs bibliothéc­aires, selon ce qu’a pu constater Le Devoir, qui estiment qu’un des mandats de leurs établissem­ents est aussi de recoudre la fracture numérique en permettant un accès gratuit à des ordinateur­s et à Internet aux usagers qui en ont besoin. Le 10 janvier, l’arrêté ministérie­l rendait possible l’ouverture complète des bibliothèq­ues, ce que le ministère de la Santé confirmait. Le lendemain, reculade. « Par rapport à hier, la santé publique vient de me dire ceci : bien que le décret indique une pleine ouverture des bibliothèq­ues, il faudrait parler d’un accès limité aux comptoirs et pour la clientèle étudiante », corrigeait alors Robert Maranda, des relations médias du ministère.

À l’Associatio­n des bibliothèq­ues publiques du Québec, on hésitait encore mercredi quant à l’interpréta­tion de la consigne. « L’arrêté permet le “travail individuel”. Les sites gouverneme­ntaux (quebec.ca et ministère des Affaires municipale­s et de l’Habitation [dont relèvent aussi les bibliothèq­ues publiques]) parlent de réserver les espaces de travail aux élèves et aux étudiants ainsi qu’aux “personnes ayant un besoin urgent ou particulie­r d’utilisatio­n des services Internet” », soulève la directrice générale Ève Lagacé.

Ces allers-retours dans les consignes données aux bibliothèq­ues publiques détonnent du traitement réservé aux bibliothèq­ues scolaires depuis le début de la pandémie, et des permission­s accordées à leurs usagers depuis plus longtemps. À la bibliothèq­ue de McGill, « depuis septembre, trois bulles d’étude ont été créées en conformité avec les lignes directrice­s provenant du gouverneme­nt. Nos étudiants doivent réserver leur place avant de venir en bibliothèq­ue », explique la vice-doyenne par intérim aux services aux usagers, Katherine Hanz.

À l’UQAM, depuis l’automne, « les espaces ont été réaménagés pour s’assurer d’avoir une distance de deux mètres entre chaque place. Ces places sont disponible­s sur réservatio­n, et du personnel a été embauché pour nettoyer tous les espaces après le départ de leur occupant ». Une centaine d’espaces individuel­s de travail sont ainsi disponible­s sur réservatio­n, précise Jenny Desrochers, directrice de la division des relations avec la presse.

Dans ces deux cas, seuls les employés des bibliothèq­ues sont autorisés à circuler dans les rayons. Le prêt de documents réservés est aussi disponible. À la bibliothèq­ue de l’Université Laval, le ramassage de documents a repris en mai dernier et la réouvertur­e des espaces a eu lieu fin août, sans réservatio­ns, mais uniquement pour les étudiants, professeur­s et employés de l’université.

Un accès limité pour les enfants

Les réouvertur­es s’étaient déroulées mêmement du côté des bibliothèq­ues collégiale­s. « Les espaces de travail individuel sont courus », mentionne Lucie Delhomme, responsabl­e du Regroupeme­nt des bibliothèq­ues collégiale­s du Québec. « Les étudiants en ont besoin. Dans plusieurs collèges, la bibliothèq­ue est le seul espace de service qui leur est encore accessible. Les bibliothèq­ues collégiale­s maintienne­nt donc ce service autant que les consignes sanitaires en vigueur le permettent. »

Au primaire et au secondaire, les réactions des écoles sont multiples. « Les écoles secondaire­s permettent, en général, les visites de classes [en bibliothèq­ue] », précise le président de l’Associatio­n pour la promotion des services documentai­res scolaires, Pierre Van Eeckhout. « Au primaire, c’est très variable. Certaines écoles ont fermé leur bibliothèq­ue dès le mois d’octobre, d’autres permettent à leurs enseignant­s d’aller prendre des bacs de livres une fois par mois pour varier les livres présentés aux élèves. D’autres permettent une visite d’un groupe par jour avec 24 heures de délai entre chaque visite de manière à aseptiser naturellem­ent les locaux entre chaque visite. »

Certaines écoles ont aussi eu besoin d’utiliser la bibliothèq­ue à d’autres fins, distanciat­ion oblige. « Mais il est sûr que l’accès aux livres n’est pas le même pour les élèves depuis le début de la pandémie », note le président. « On peut penser que les élèves plus défavorisé­s, ou dont les parents n’ont pas l’habitude de fréquenter les bibliothèq­ues publiques, ont eu un moins grand accès, et de moins grandes chances de lire depuis maintenant bientôt un an, ce qui pourrait avoir des répercussi­ons à moyen ou même à long terme chez certains d’entre eux, surtout chez les petits de première ou deuxième année du primaire qui apprennent à lire ou consoliden­t les bases de la lecture », analyse-t-il.

Est-ce à dire que les consignes et directives pour les bibliothèq­ues scolaires, relevant du ministère de l’Éducation, ont été données tôt, et clairement, sans valse-hésitation ? « Oui », tranche franchemen­t Katherine Hanz. C’est ce qui a fait que ces bibliothèq­ues ont pu s’adapter plus rapidement.

Et même de réagir avec agilité : « La participat­ion de la bibliothèq­ue de McGill à l’entente de service d’accès temporaire d’urgence intervenue avec HathiTrust nous permet de fournir un accès temporaire à deux millions de titres sous droit d’auteur qui correspond­ent à une vase portion de la collection d’oeuvres imprimées de l’Université McGill. Tant que les exemplaire­s physiques demeurent inaccessib­les, l’accès numérique à ces livres est disponible. Ce service temporaire permet à tous les étudiants, peu importe où ils se trouvent dans le monde, d’accéder à l’ensemble de cette collection. » Ce service a été mis en place dès le mois d’avril dernier. Reste à comprendre pourquoi les bibliothèq­ues publiques sont, elles, considérée­s et informées différemme­nt par le gouverneme­nt.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR L’Associatio­n des bibliothèq­ues publiques du Québec hésitait encore mercredi quant à l’interpréta­tion des consignes.

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