Une aide psychologique boudée par le personnel de la santé
Les 14 millions débloqués par Québec en mai dernier pour soutenir les travailleurs du réseau n’ont pratiquement pas été utilisés
Alors que la détresse chez le personnel de la santé atteint des sommets, l’aide psychologique que leur a offerte le gouvernement via le programme d’aide aux employés (PAE) demeure quasi inutilisée.
En mai, la ministre Danielle McCann avait débloqué 14 millions de dollars pour « protéger la santé psychologique de nos anges gardiens ». Les fonds allaient permettre au réseau d’offrir trois séances supplémentaires de soutien psychologique aux employés, en plus du programme habituel.
Or, neuf mois plus tard, les fonds n’ont pratiquement pas été utilisés. Un paradoxe qui en laisse plus d’un perplexe, dont le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. Cette semaine, il a d’ailleurs profité de la présence d’experts à sa consultation sur la santé mentale et la pandémie, pour les interroger à ce sujet.
« On a bonifié notre programme d’aide pour le réseau de la santé et de services sociaux. Malheureusement, le constat est que cette bonification a très peu servi, pour ne pas dire servi à rien », a-t-il dit. « Est-ce que c’est juste parce que c’est tabou ? »
Oui, lui a rétorqué Manon Poirier de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. « Il y a encore une certaine réticence des employés à l’utiliser ». Les gens, a-t-elle dit, craignent que ce qu’ils vont dire soit « partagé » parce que le programme est « associé à l’employeur ».
Les PAE sont en effet financés par les établissements de santé et sont offerts par des consultants externes. Selon nos informations, le programme de base comprendrait en moyenne quatre ou cinq séances de « soutien psychologique » auxquelles se sont ajoutées les trois séances promises en mai.
Méfiance
Tous les intervenants auxquels Le Devoir a parlé ont mentionné que les programmes suscitaient de la méfiance. « L’omerta existe encore », fait valoir Judith Huot, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN.
Elle se demande aussi si « c’est bien publicisé », avec des affiches « dans les salles de pause ». Mais de façon plus globale, elle croit qu’en offrant un « maximum de séances », on disqualifie beaucoup de gens. « Quand on a besoin d’un bon suivi, ça prend plus que quelques séances. C’est plutôt en termes de mois que ça se passe. »
Mme Huot n’est pas la seule à suggérer que les PAE ne sont pas adaptés aux besoins.
« Les PAE sont spécialisés dans les problèmes reliés au travail, aux relations de travail. […] Si vous avez un stress aigu ou un épisode dépressif majeur, ils ne traiteront pas ça avec trois rencontres », fait valoir la présidente de l’Ordre des psychologues, Christine Grou.
Du côté des syndicats infirmiers, on reconnaît que la faible utilisation du programme est surprenante. D’ailleurs, lorsque des membres demandent au syndicat de l’aide en santé mentale, on les adresse normalement aux programmes d’aide aux employés, confirme Lynda Lapointe, vice-présidente de la Fédération interprofessionnelle de la Santé (FIQ).
Mais il ne faudrait pas en conclure que les infirmières sont moins en détresse qu’on le dit. « C’est sûr qu’il n’y a aucun lien », dit-elle.
Manque de temps
« Moi, je pense que la détresse était tellement grande [en partant] que ce ne sont pas des séances de plus qui allaient régler leur problème », avancet-elle. « C’est comme mettre un pansement sur une hémorragie ». La détresse du personnel de la santé est « documentée », souligne à cet égard Christine Grou. « Le fait que les gens n’utilisent pas le PAE, ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas si mal que ça. »
Au-delà de la peur du patron et des questions de confidentialité, encore beaucoup de gens sont gênés de dire qu’ils ont des problèmes de santé mentale, et ce, même dans le réseau de la santé, selon l’un des experts qui participait à la consultation de cette semaine. « Il y a encore beaucoup de stigmatisation autour de ça », a dit Jean-Pierre Brun du Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval. « Dans nos enquêtes, 50 % des gens nous disent qu’ils n’osent pas déclarer leur état de santé psychologique, ils ont peur. Il y a encore une stigmatisation. »
Il faut aussi tenir compte du temps, fait valoir Christine Grou. « Les professionnels de la santé actuellement, ils sont extrêmement sollicités. […] En termes de temps, encore faut-il qu’ils aient le temps d’aller consulter. »
Pour beaucoup, le moment pour s’occuper de soi est donc reporté à plus tard, remarque Judith Huot. « Je ne suis pas certaine qu’elles ont conscience qu’elles en ont besoin. L’adrénaline y est pour beaucoup ». À son avis, c’est lorsque la crise sera terminée que les demandes vont se multiplier.