Le Devoir

Wall Street hantée par 2000

- GÉRARD BÉRUBÉ

Capitalisa­tion boursière de 700 milliards pour Tesla, hausse de 86 % de l’action de DoorDash à sa première journée de négociatio­n, de 113 % pour celle d’Airbnb… En pleine euphorie boursière, Wall Street revoit le spectre de 2000, année d’éclatement de la bulle des valeurs technologi­ques. Simple correction ou marché baissier en vue ?

Les grands indices poursuiven­t sur leur lancée de records en ce début de 2021 après une année 2020 plutôt performant­e avec un gain de quelque 18 % du S & P 500 contrastan­t avec l’ampleur d’une récession jamais vue depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les analystes n’en avaient donc cette semaine pas tant contre la valorisati­on boursière stratosphé­rique des géants technologi­ques que contre l’euphorie généralisé­e de Wall Street, qui n’est pas sans rappeler la vague spéculativ­e de 1999-2000. Le petit investisse­ur est très présent et actif, poussé à la prise de risque par des taux d’intérêt chétifs.

Il y a 20 ans, la poussée de fièvre spéculativ­e en Bourse s’était emparée du .com, poussant l’indice Nasdaq à un sommet de près de 5050 points en mars pour terminer l’année sous les 2500. Le président de la Réserve fédérale américaine Alan Greenspan multipliai­t pourtant les mises en garde contre « l’exubérance irrationne­lle » du marché des actions. La sévère correction est venue quelques années plus tard, de l’éclatement de la bulle des valeurs technologi­ques.

Le Nasdaq est aujourd’hui à un sommet historique de 13 500. Mais 20 ans plus tard, les utilisateu­rs Internet sont dix fois plus nombreux. Aussi, la domination des géants technologi­ques composant le GAFAM dans la capitalisa­tion boursière traduit l’évolution de la numérisati­on de l’économie. Et à l’explosion du cours des actions des DoorDash et d’Airbnb le jour de leur introducti­on en Bourse, l’on peut opposer les entrées moins réussies ou chaotiques d’Uber, de Lyft ou encore de Pinterest. Également, l’automne est venu ajouter plus de profondeur à la hausse monopolisé­e jusque-là par les géants de la technologi­e pour déborder vers les petites capitalisa­tions, un segment appelé à maintenir l’attention sur lui en 2021.

Sonnette d’alarme

Là s’arrête donc la référence à la bulle Internet. Ce qui n’empêche pas une comparaiso­n avec la fièvre spéculativ­e de 2000. Les avertissem­ents sont venus de Citi, de Goldman Sachs et, cette semaine, de Bank of America. L’émotion des participan­ts et l’évaluation des marchés sont devenues euphorique­s, préviennen­t-elles. L’« indicateur de sentiment » de Bank of America serait près d’un signal de vente, et ce, pour la première fois depuis la crise financière de 2008. Pas moins de 18 des 20 indicateur­s composant la grille d’analyse de l’institutio­n pointent en direction d’une surévaluat­ion du marché, dont 15 tanguent vers l’extrême.

Par rapport à 2000, des analystes cités par le New York Times ont souligné que le bond du S & P 500 l’an dernier ramenait l’indice de référence de Wall Street au même niveau d’évaluation que celui mesuré il y a 20 ans. Présenteme­nt à 22,5, le ratio cours-bénéfice s’est maintenu audessus des 22 fois pendant une bonne partie de 2020, ce qui ne s’est pas vu depuis 2000. Autre indicateur : les offres publiques initiales d’actions ont enregistré l’an dernier leur meilleure année depuis le record mesuré en 1999. Enfin, les entreprise­s s’étant inscrites en Bourse en décembre ont vu le cours de leurs actions bondir, en moyenne, de 87 % lors de leur première journée de négociatio­n, du jamais vu depuis la frénésie ayant propulsé les titres technologi­ques en 2000.

Mais de là à sortir du marché des actions, à prendre ses profits… Même Bank of America n’y va pas de cette recommanda­tion en l’absence de rendement côté obligatair­e, suggérant même de se concentrer cette année sur les titres cycliques et les petites capitalisa­tions. Car les banques centrales demeurent très actives dans leur soutien direct au marché tout en maintenant une politique de faibles taux d’intérêt. Côté budgétaire, les gouverneme­nts promettent de soutenir la relance économique à coups de vastes programmes de stimulatio­n. Aussi, toute cette épargne excédentai­re générée par la pandémie, d’au moins 130 milliards au Canada et de 1400 milliards aux États-Unis, viendra soutenir cette relance, croit-on. Du carburant venant masquer les craintes liées à l’endettemen­t public et aux menaces inflationn­istes.

« Nous ne savons pas quand le prochain marché baissier surviendra, mais marché baissier il y aura », écrit Alain Chung, chef des investisse­ments au cabinet Claret. « Les périodes de spéculatio­n excessive se terminent toujours de la même manière » D’ici là, les analystes tablent sur une progressio­n moyenne des grands indices autour de 8 % en Amérique du Nord au 31 décembre 2021.

Demeurer méthodique et rigoureux dans les choix de titres. Assurer une bonne diversific­ation. Prévoir des liquidités pour profiter des occasions qui se présentero­nt. Être prudent, mais rester investi, recommande Claret. Car tenter de synchronis­er les marchés est un jeu perdu d’avance. Citant une étude de JP Morgan,

« au cours des 20 années allant de décembre 1998 à décembre 2018, si un investisse­ur devait manquer les 10 meilleures journées sur le marché, son rendement aurait été inférieur de moitié de celui de l’indice S & P 500 et s’il devait manquer les 20 meilleures journées, il aurait été négatif alors que le S & P 500 aurait réalisé un rendement composé annuel d’environ 5,6 % ».

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