De quoi demain serat-il fait ?, la chronique de Normand Baillargeon |
Nous ne sommes pas encore sortis de cette terrible crise dans laquelle nous sommes plongés depuis près d’un an et il est probable que l’humanité n’en sortira pas entièrement avant la fin de la présente année. Il y aura un très grand nombre de leçons à tirer de cette tragédie et il faut espérer que nous serons à la hauteur de cette importante tâche. Qu’en sera-t-il pour l’éducation chez nous ?
L’après-pandémie
Il y a beaucoup d’inconnues dans cette équation, et j’ai toujours eu de la sympathie pour cette distinction que proposait Donald Rumsfeld entre le connu, l’inconnu connu et l’inconnu inconnu. C’est-à-dire entre les choses qu’on sait, les choses qu’on sait qu’on ne sait pas et les choses qu’on ne sait même pas qu’on ne sait pas.
Ma boule de cristal n’est pas bien bonne, mais j’avance que les effets de la pandémie sur les élèves et les étudiants seront importants, surtout sur les plus fragiles d’entre eux, et qu’il faudra suivre et documenter de près tout cela. Le travail des enseignants et des professeurs, déjà lourd et peu attractif, sera alourdi d’autant, et les effets de la pandémie sur eux pourraient nous réserver de bien mauvaises surprises : départs à la retraite hâtifs, abandons de la profession, pénurie d’enseignants…
On tirera aussi — et bien souvent ce sera le fait de partis ayant d’importants intérêts économiques sur le sujet — des leçons de la vaste expérimentation que nous aurons, sans l’avoir choisie, menée sur l’enseignement à distance.
Des chantiers entrepris avant la pandémie, et que pour certains on avait presque oubliés, vont revenir au premier plan : l’implantation de la laïcité à l’école ; la révision du cours Éthique et culture religieuse (ECR) ; les modifications aux structures scolaires ; la définition du statut et du rôle de l’université ; la mission des cégeps, notamment en région ; les persistantes et à mon sens inacceptables inégalités devant l’école ; la place et le financement de l’école privée ; l’état de nos infrastructures scolaires ; ce qu’on doit mettre en place pour la petite enfance ; et j’en passe.
Si vous me lisez un peu, vous savez que je prône, depuis quelques années déjà, une vaste, sérieuse et complète réflexion collective sur ce que nous attendons de l’éducation et sur les moyens qu’on est en conséquence disposés à consacrer à cette mission.
Mon idée était, et est toujours, que les transformations de toutes sortes — sociales, politiques, économiques, technologiques — survenues depuis les années soixante du siècle dernier nous imposent de revoir ce que nous avions alors mis en place, justement à la suite d’une telle réflexion collective : la commission Parent. Je proposais de l’appeler la Commission Parent 2.0.
Vous l’avez deviné : je soutiens aujourd’hui que la crise que nous traversons rend cette réflexion plus nécessaire que jamais.
J’ai donc été très heureux de lire cette semaine — sous la plume notamment d’un des concepteurs de la récente réforme de l’éducation, Claude Lessard, d’un des membres de la commission Parent, Guy Rocher, et de l’éminent philosophe Georges Leroux, principal concepteur du cours ECR, et de plus de 240 autres signataires — une lettre (« Repenser et relancer l’école publique », La Presse, 18 janvier 2021) demandant de tenir des états généraux sur l’éducation. Les auteurs, qui sont des acteurs importants du monde de l’éducation, rejoignent par là les idées que je défends avec mon projet de Commission Parent 2.0.
Je ne peux donc qu’applaudir à ce projet, et j’estime qu’on aura du mal à en exagérer l’importance. Je me permettrai cependant une précision.
Données probantes et finalités
Les bonnes décisions, en ces complexes matières où se conjuguent, le plus harmonieusement possible on l’espère, données factuelles et valeurs, tirent leur légitimité de deux sources : la vérité des énoncés, qui doivent être conformes aux faits et donc pris en toute connaissance de cause des données probantes, et un consensus le plus large possible sur les valeurs et les finalités.
Les audiences que tiendront les membres de l’équipe des états généraux (en présentiel !) permettront, je le pense, de dégager ce large consensus. Reste la délicate question des données probantes. Je dois ici avouer un profond malaise que réveille l’appellation « états généraux sur l’éducation », qui renvoie à ceux tenus il y a trois décennies et qui restent, pour toutes les personnes soucieuses de tenir compte des données probantes, un douloureux moment. Celles-ci avaient en effet été ignorées, au premier chef par celles et ceux dont c’est la mission de les connaître et de les défendre.
C’est pourquoi cette vaste consultation se doit de comprendre une équipe crédible d’experts connaissant bien la littérature scientifique et philosophique sur les données probantes en éducation. J’ai bien quelques idées sur la composition de ce nécessaire comité scientifique et je les soumettrai le moment venu, s’il vient, comme je l’espère — et je ne chipoterai alors pas trop sur le nom qu’on donnera à cette grande et nécessaire réflexion collective.
J’estime toutefois que l’appeler Commission Parent 2.0 démontrerait à la fois un sens de la continuité historique et la reconnaissance de la dette que nous avons envers nos prédécesseurs. Je pense d’ailleurs à quelqu’un qu’on pourrait nommer membre de cette équipe : le grand Guy Rocher, qui pourrait en être le président d’honneur.
Nous nous devons collectivement cette réflexion dont le moment est venu et dont je soupçonne qu’elle fera très largement consensus si on la fait connaître.
Nous nous la devons à nous tous et à nos enfants, présents et à venir.