Verdir les États-Unis, mission possible ?
L’élection de Joe Biden suscite de grands espoirs en matière de protection de l’environnement et de lutte contre la crise climatique. Mais la tâche qui attend le nouveau président américain est énorme et elle nécessitera de profonds changements dans l’ensemble de la société. Cette transformation souhaitée de la première économie mondiale pourrait d’ailleurs stimuler le développement des énergies renouvelables au Canada.
En quatre années de présidence, Donald Trump n’a jamais reconnu l’urgence de la crise climatique, malgré l’abondance de preuves scientifiques. Au contraire, il a affirmé que les températures allaient « se refroidir » après les feux dévastateurs qui ont frappé la Californie, il a plaidé pour l’utilisation accrue du « magnifique charbon propre », le pire des combustibles fossiles, et il a renié la signature américaine de l’Accord de Paris.
Avec la mise à jour de la page officielle de la Maison-Blanche mercredi, le nouveau gouvernement de Joe Biden a donc voulu marquer le changement radical de perspective en inscrivant l’enjeu climatique au deuxième rang des « priorités immédiates », après la lutte contre la COVID-19. En signant le jour même le décret officialisant le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris, le nouveau président a aussi promis une mobilisation sans précédent de la puissante économie américaine en faveur de la lutte contre la crise climatique.
Fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, Hugo Séguin salue ce changement de discours très attendu à Washington. Il souligne cependant qu’au-delà de la volonté politique, la tâche s’annonce « herculéenne » pour le nouveau président démocrate. « Son gouvernement hérite du bilan d’une administration qui pratiquait la politique de la terre brûlée en environnement et en matière de lutte contre les changements climatiques », affirme-til, en évoquant quelque « 120 règlements à caractère environnemental » annulés ou modifiés au cours des années Trump. Des années qui ont aussi contribué à amenuiser encore davantage une crédibilité climatique américaine déjà « extrêmement faible », selon M. Séguin.
Dans ce contexte, la rapidité avec laquelle Joe Biden a affiché ses couleurs permet d’envoyer « un signal positif » à la communauté internationale, en cette année où plusieurs espèrent une bonification majeure des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais les discours ne suffiront évidemment pas. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a d’ailleurs pressé Joe Biden mercredi de proposer une nouvelle cible de réduction des GES. « Nous attendons avec impatience le leadership des États-Unis pour qu’ils accélèrent les efforts mondiaux » vers la neutralité carbone, « en proposant notamment une nouvelle contribution nationale avec des objectifs ambitieux pour 2030 », a-t-il souligné dans un communiqué.
En ce sens, les intentions sont déjà claires à Washington : on promet de s’aligner sur un objectif de carboneutralité pour 2050. Est-ce réaliste pour un pays qui consomme actuellement 20 millions de barils de pétrole chaque jour et dont 60 % de l’électricité est produite à partir de gaz naturel et de charbon ? « C’est ambitieux, mais c’est faisable », résume Matto Mildenberger, professeur au Département de science politique à l’Université de Santa Barbara, en Californie. « Pas moins de 80 % des émissions de GES des États-Unis peuvent être éliminées en électrifiant le secteur des transports, l’industrie manufacturière et l’énergie utilisée dans le domaine du bâtiment, tout en transformant l’approvisionnement en électricité. »
Le président a justement promis d’agir sur tous ces fronts, ajoute M. Mildenberger. « L’objectif de décarboniser 100 % de la production d’électricité d’ici 2035 est déjà une étape majeure de ce nouveau plan climatique américain », souligne-t-il. S’il semble acquis que le déclin du charbon permettra de l’éliminer du portrait d’ici 15 ans, la chose pourrait être plus complexe pour le gaz naturel. Cette ressource fossile alimente de plus en plus de centrales électriques aux ÉtatsUnis, en raison d’une production record rendue possible grâce au recours à la fracturation hydraulique. Or, M. Biden a dit en campagne qu’il n’interdirait pas cette technique d’exploitation, malgré les risques pour l’environnement et pour la santé publique.
Accélérer la transition
Au-delà du soupir de soulagement poussé cette semaine par des scientifiques, des décideurs politiques et des défenseurs de l’environnement, Hugo Séguin rappelle par ailleurs que la transition énergétique était déjà en marche, l’ère Trump n’ayant pas mis un terme à toute action climatique. « Joe Biden arrive à un moment où les choses sont déjà en mouvement aux États-Unis vers une plus grande place pour l’économie verte, plus de véhicules électriques, moins de charbon, etc. Le nouveau président va donc amplifier des mouvements qui sont déjà en cours dans le pays. »
La Californie, avec ses 40 millions de citoyens, a annoncé en septembre dernier qu’elle interdira la vente de voitures à essence à partir de 2035. L’État de New York a pour sa part mis en oeuvre en 2019 un plan qui vise à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Et l’an dernier, dans l’ensemble du pays, l’augmentation de la capacité de production d’électricité a été portée majoritairement par de nouvelles installations d’énergie renouvelable. Plusieurs États ont d’ailleurs signifié leur intention de décarboniser la consommation d’électricité de leurs citoyens.
Les 2000 milliards de dollars promis sur quatre ans par le gouvernement Biden pour une « relance verte » de l’économie devraient donc accélérer le mouvement, selon Matto Mildenberger. Lui et Hugo Séguin insistent aussi sur la nécessité d’aider les régions dépendantes de l’industrie des énergies fossiles à entamer cette transition, afin d’éviter la polarisation alimentée au cours des dernières années par les républicains. Ceux-ci ont accusé les démocrates de vouloir « tuer » des emplois avec leur engagement en faveur de la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles.
C’est aussi le genre d’accusation lancée cette semaine par le premier ministre albertain, Jason Kenney, à la suite de l’annulation du permis présidentiel pour la construction du pipeline Keystone XL. Doyen de la Faculté d’administration de l’Université de l’Alberta et expert des enjeux énergétiques, Joseph Doucet rappelle toutefois que la fin de ce projet ne bouleversera pas l’étroite relation pétrolière avec nos voisins américains. « Les ÉtatsUnis demeurent le principal client du Canada. Ils achètent près de quatre millions de barils par jour », sur une production quotidienne qui se situait avant la crise de la COVID-19 à 4,7 millions de barils.
M. Doucet estime que la transition énergétique souhaitée par Joe Biden pourrait marquer le début d’une nouvelle ère de « collaboration » avec le Canada. Une croissance de la part des énergies renouvelables pourrait en effet stimuler la réalisation de projets canadiens dans ce créneau, en vue de l’exportation. « Le virage vert ne sera pas uniquement négatif pour le secteur énergétique canadien », affirme-t-il.
Hydro-Québec pourrait d’ailleurs en tirer profit. Selon ce qu’indique la société d’État par courriel, Joe Biden « souhaite que son pays fasse une transition vers les énergies propres. Ainsi, sous sa présidence, l’administration fédérale sera dorénavant plus en phase avec les politiques étatiques dans nos marchés, ce qui devrait être aidant pour Hydro-Québec ». La réponse à une éventuelle croissance des ventes aux États-Unis pourrait passer par le développement prévu de nouveaux projets, notamment dans le domaine de l’éolien.