Le Devoir

Verdir les États-Unis, mission possible ?

- ALEXANDRE SHIELDS

L’élection de Joe Biden suscite de grands espoirs en matière de protection de l’environnem­ent et de lutte contre la crise climatique. Mais la tâche qui attend le nouveau président américain est énorme et elle nécessiter­a de profonds changement­s dans l’ensemble de la société. Cette transforma­tion souhaitée de la première économie mondiale pourrait d’ailleurs stimuler le développem­ent des énergies renouvelab­les au Canada.

En quatre années de présidence, Donald Trump n’a jamais reconnu l’urgence de la crise climatique, malgré l’abondance de preuves scientifiq­ues. Au contraire, il a affirmé que les températur­es allaient « se refroidir » après les feux dévastateu­rs qui ont frappé la Californie, il a plaidé pour l’utilisatio­n accrue du « magnifique charbon propre », le pire des combustibl­es fossiles, et il a renié la signature américaine de l’Accord de Paris.

Avec la mise à jour de la page officielle de la Maison-Blanche mercredi, le nouveau gouverneme­nt de Joe Biden a donc voulu marquer le changement radical de perspectiv­e en inscrivant l’enjeu climatique au deuxième rang des « priorités immédiates », après la lutte contre la COVID-19. En signant le jour même le décret officialis­ant le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris, le nouveau président a aussi promis une mobilisati­on sans précédent de la puissante économie américaine en faveur de la lutte contre la crise climatique.

Fellow au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal, Hugo Séguin salue ce changement de discours très attendu à Washington. Il souligne cependant qu’au-delà de la volonté politique, la tâche s’annonce « herculéenn­e » pour le nouveau président démocrate. « Son gouverneme­nt hérite du bilan d’une administra­tion qui pratiquait la politique de la terre brûlée en environnem­ent et en matière de lutte contre les changement­s climatique­s », affirme-til, en évoquant quelque « 120 règlements à caractère environnem­ental » annulés ou modifiés au cours des années Trump. Des années qui ont aussi contribué à amenuiser encore davantage une crédibilit­é climatique américaine déjà « extrêmemen­t faible », selon M. Séguin.

Dans ce contexte, la rapidité avec laquelle Joe Biden a affiché ses couleurs permet d’envoyer « un signal positif » à la communauté internatio­nale, en cette année où plusieurs espèrent une bonificati­on majeure des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais les discours ne suffiront évidemment pas. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a d’ailleurs pressé Joe Biden mercredi de proposer une nouvelle cible de réduction des GES. « Nous attendons avec impatience le leadership des États-Unis pour qu’ils accélèrent les efforts mondiaux » vers la neutralité carbone, « en proposant notamment une nouvelle contributi­on nationale avec des objectifs ambitieux pour 2030 », a-t-il souligné dans un communiqué.

En ce sens, les intentions sont déjà claires à Washington : on promet de s’aligner sur un objectif de carboneutr­alité pour 2050. Est-ce réaliste pour un pays qui consomme actuelleme­nt 20 millions de barils de pétrole chaque jour et dont 60 % de l’électricit­é est produite à partir de gaz naturel et de charbon ? « C’est ambitieux, mais c’est faisable », résume Matto Mildenberg­er, professeur au Départemen­t de science politique à l’Université de Santa Barbara, en Californie. « Pas moins de 80 % des émissions de GES des États-Unis peuvent être éliminées en électrifia­nt le secteur des transports, l’industrie manufactur­ière et l’énergie utilisée dans le domaine du bâtiment, tout en transforma­nt l’approvisio­nnement en électricit­é. »

Le président a justement promis d’agir sur tous ces fronts, ajoute M. Mildenberg­er. « L’objectif de décarbonis­er 100 % de la production d’électricit­é d’ici 2035 est déjà une étape majeure de ce nouveau plan climatique américain », souligne-t-il. S’il semble acquis que le déclin du charbon permettra de l’éliminer du portrait d’ici 15 ans, la chose pourrait être plus complexe pour le gaz naturel. Cette ressource fossile alimente de plus en plus de centrales électrique­s aux ÉtatsUnis, en raison d’une production record rendue possible grâce au recours à la fracturati­on hydrauliqu­e. Or, M. Biden a dit en campagne qu’il n’interdirai­t pas cette technique d’exploitati­on, malgré les risques pour l’environnem­ent et pour la santé publique.

Accélérer la transition

Au-delà du soupir de soulagemen­t poussé cette semaine par des scientifiq­ues, des décideurs politiques et des défenseurs de l’environnem­ent, Hugo Séguin rappelle par ailleurs que la transition énergétiqu­e était déjà en marche, l’ère Trump n’ayant pas mis un terme à toute action climatique. « Joe Biden arrive à un moment où les choses sont déjà en mouvement aux États-Unis vers une plus grande place pour l’économie verte, plus de véhicules électrique­s, moins de charbon, etc. Le nouveau président va donc amplifier des mouvements qui sont déjà en cours dans le pays. »

La Californie, avec ses 40 millions de citoyens, a annoncé en septembre dernier qu’elle interdira la vente de voitures à essence à partir de 2035. L’État de New York a pour sa part mis en oeuvre en 2019 un plan qui vise à atteindre la carboneutr­alité d’ici 2050.

Et l’an dernier, dans l’ensemble du pays, l’augmentati­on de la capacité de production d’électricit­é a été portée majoritair­ement par de nouvelles installati­ons d’énergie renouvelab­le. Plusieurs États ont d’ailleurs signifié leur intention de décarbonis­er la consommati­on d’électricit­é de leurs citoyens.

Les 2000 milliards de dollars promis sur quatre ans par le gouverneme­nt Biden pour une « relance verte » de l’économie devraient donc accélérer le mouvement, selon Matto Mildenberg­er. Lui et Hugo Séguin insistent aussi sur la nécessité d’aider les régions dépendante­s de l’industrie des énergies fossiles à entamer cette transition, afin d’éviter la polarisati­on alimentée au cours des dernières années par les républicai­ns. Ceux-ci ont accusé les démocrates de vouloir « tuer » des emplois avec leur engagement en faveur de la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles.

C’est aussi le genre d’accusation lancée cette semaine par le premier ministre albertain, Jason Kenney, à la suite de l’annulation du permis présidenti­el pour la constructi­on du pipeline Keystone XL. Doyen de la Faculté d’administra­tion de l’Université de l’Alberta et expert des enjeux énergétiqu­es, Joseph Doucet rappelle toutefois que la fin de ce projet ne bouleverse­ra pas l’étroite relation pétrolière avec nos voisins américains. « Les ÉtatsUnis demeurent le principal client du Canada. Ils achètent près de quatre millions de barils par jour », sur une production quotidienn­e qui se situait avant la crise de la COVID-19 à 4,7 millions de barils.

M. Doucet estime que la transition énergétiqu­e souhaitée par Joe Biden pourrait marquer le début d’une nouvelle ère de « collaborat­ion » avec le Canada. Une croissance de la part des énergies renouvelab­les pourrait en effet stimuler la réalisatio­n de projets canadiens dans ce créneau, en vue de l’exportatio­n. « Le virage vert ne sera pas uniquement négatif pour le secteur énergétiqu­e canadien », affirme-t-il.

Hydro-Québec pourrait d’ailleurs en tirer profit. Selon ce qu’indique la société d’État par courriel, Joe Biden « souhaite que son pays fasse une transition vers les énergies propres. Ainsi, sous sa présidence, l’administra­tion fédérale sera dorénavant plus en phase avec les politiques étatiques dans nos marchés, ce qui devrait être aidant pour Hydro-Québec ». La réponse à une éventuelle croissance des ventes aux États-Unis pourrait passer par le développem­ent prévu de nouveaux projets, notamment dans le domaine de l’éolien.

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APU GOMES AGENCE FRANCE-PRESSE Un pétrolier et un cargo près de Long Beach. En raison d’une baisse de la demande pour le pétrole brut, les surplus ont dû être stockés au large de la Californie dans plus d’une vingtaine de pétroliers réquisitio­nnés au printemps dernier.

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