Le Devoir

Post-parTrump

Et maintenant, que faut-il attendre de la droite américaine ?

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Il y a ce qui naît. Il y a ce qui meurt. Quelque chose commence. Autre chose vient de se terminer. Mais quoi au fait ? Comment caractéris­er la présidence de Donald Trump ? À la fin de quoi vient-on d’assister ? « Le trumpisme n’est pas un conservati­sme », tranche Daniel Stockemer, professeur de sciences politiques de l’Université Concordia, spécialist­e du populisme et directeur de l’Internatio­nal Political Science Review.

« Trump incarne le leader charismati­que avec toutes les composante­s du populisme : le rejet des élites, du système, de l’immigratio­n, du multilatér­alisme. On y retrouve l’idée du leader en relation avec le peuple et la nostalgie d’une Amérique blanche. Le trumpisme est aussi très émotionnel : il fait appel aux émotions, pas à la raison. Ce qui ne compose pas un mouvement conservate­ur. À la base, aux États-Unis, le conservati­sme n’est pas antidémocr­atique. Pas mal de conservate­urs sont d’ailleurs contre Trump. »

L’idée d’un néo ou d’un protofasci­sme taraude une portion des politologu­es et des historiens depuis l’apparition de Donald Trump sur la scène américaine. « Le fascisme est aussi un mouvement populiste, dit le professeur Stockemer. On peut faire des liens avec Mussolini qui se positionna­it audessus de l’État. Mais la bonne chose, c’est que les institutio­ns américaine­s ont résisté et se sont révélées plus fortes que Trump. »

Son collègue Christophe CloutierRo­y, chercheur en résidence à l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, nuance les parallèles avec le fascisme.

« La critique en référence au fascisme, très dénigrante évidemment, est venue de la gauche, note-t-il. Le trumpisme, contrairem­ent aux grandes idéologies comme le communisme ou le nazisme, n’a pas de base intellectu­elle. Il n’y a pas de livre de référence du trumpisme, même si certains thèmes reviennent, la critique de l’immigratio­n notamment. »

Il ajoute que le trumpisme semble d’abord et avant tout un mouvement centré sur la personne de Donald Trump, qui cherchait son propre profit et choisissai­t ses orientatio­ns pour faire plaisir à sa base. « Le trumpisme est un phénomène extrêmemen­t difficile à saisir, résume-t-il. Déjà, en parlant de trumpisme, on l’associe à une seule personne. J’aime bien utiliser l’analogie du test de Rorschach. J’ai l’impression d’un mouvement, si on peut l’appeler ainsi, dans lequel les différents adeptes se sont reconnus. »

Après la chute

Il faut alors se demander comment ce mouvement pourra survivre avec le retrait du pouvoir de son leader. « Il est bien difficile de voir qui pourrait se réclamer de cette position, poursuit M. Cloutier-Roy. C’est surtout Trump, jouissant d’un statut de célébrité et d’outsider par rapport à Washington, qui était populaire, encore plus que ses politiques. Il est loin d’être clair qu’un sénateur comme Ted Cruz du Texas sera capable d’attirer des foules. »

Plusieurs horizons semblent s’ouvrir pour le Parti républicai­n. Les observateu­rs multiplien­t les réductions conceptuel­les pour tenter de tracer le portrait simple des forces en présence au sein de la formation.

Dans The New York Times, le professeur de l’Université Yale Timothy Snyder, spécialist­e des dérives totalitair­es, a proposé une division entre les « gamers » et les « breakers ». Les premiers, majoritair­es au Sénat, jouent le jeu démocratiq­ue, dont celui de l’alternance pacifique, tout en le manipulant à leur avantage. Les seconds, en force à la Chambre des représenta­nts et chez les militants, veulent en finir avec les fondements de la république, y compris par la violence s’il le faut. Une autre analyse a plutôt abouti à une tripartiti­on entre les anti, les faux et les pro-Trump.

« Il a été assez facile pour Donald Trump de prendre le contrôle du Parti républicai­n, note M. Cloutier-Roy. Va-t-il y maintenir son influence ? Il y a deux réponses possibles. Le vote de la semaine dernière montre que 95 % du caucus républicai­n a voté contre la destitutio­n, prouvant la mainmise de Trump sur le parti. À l’inverse, 5 % sont favorables à l’impeachmen­t, c’est le début d’une fissure dans le bloc. Le trumpisme ne gagne plus d’élections et il va y avoir beaucoup de combats internes en prévision des scrutins de mi-mandat de 2022. »

M. Stockemer note que les « breakers » sont plus nombreux à la Chambre basse qu’à la haute, notamment parce qu’un sénateur doit faire consensus dans tout un État. « Trump a réussi à placer des gens qui lui restent très fidèles dans les postes clés du parti, ajoute-t-il. Même après ce qui s’est passé au Capitole, plus de cent élus ont voté pour entériner les mensonges autour de la fraude électorale. C’est une folie absolue ! »

Les énergies régressive­s

L’assaut du 6 janvier rajoute au problème de la caractéris­ation du trumpisme. Une fois l’effet de sidération passé, il faut bien se demander quel rôle joue et jouera la violence dans l’avenir de la république gonflée de milices racistes et armées. En Allemagne aussi d’ailleurs, la pensée d’extrême droite se normalise et s’intellectu­alise. La confiance en la démocratie s’effrite et « l’épuisement des énergies utopiques ouvre l’espace pour des énergies politiques régressive­s », comme le décrit le chercheur Wilhem Heitmeyer dans un récent ouvrage sur la résurgence du refoulé.

« Les émeutes ont suscité beaucoup de craintes, dit M. Cloutier-Roy. Les groupes d’extrême droite sortent de l’ombre et essaient d’intégrer la joute politique. La propagande de certains médias nourrit la critique radicale du système. Il y a un virus antidémocr­atique à l’intérieur de la sphère médiatique de droite. »

La post-vérité caractéris­e aussi l’ère Trump. Le dernier président mentait plusieurs fois par jour. Cette politique du mensonge pourrait faire ses effets encore longtemps. Un fort pourcentag­e de la population croit encore que Joe Biden n’a pas gagné l’élection de manière légitime.

« Il n’y a pas si longtemps, cette situation nous paraissait inconcevab­le dans une société aussi avancée, commente le chercheur de l’UQAM. Cette composante essentiell­e de la présidence Trump ne disparaîtr­a pas instantané­ment. La sphère du mensonge existe de manière indépendan­te chez Fox News, OAN ou Newsmax. »

Le procès enclenché après cette révolte avortée, fait pour destituer Donald Trump après la fin de son mandat, pèsera sur son avenir politique. Même sans le juger coupable, les chambres pourraient voter son inéligibil­ité et ainsi l’exclure de la présidenti­elle de 2024.

Sinon, l’ex-président retiré en Floride pourrait continuer à jouer un rôle d’importance et même dominant dans le parti, dit le professeur de Concordia. « Après tout ce qui s’est passé, environ un Américain sur trois continue d’appuyer fermement Donald Trump. C’est hallucinan­t ! Cette formation reste campée très à droite, très ancrée dans les théories du complot et le mensonge. »

 ?? PETE MAROVICH AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le trumpisme semble d’abord et avant tout un mouvement centré sur la personne de Donald Trump, qui cherchait son propre profit et choisissai­t ses orientatio­ns pour faire plaisir à sa base. « Le trumpisme est un phénomène extrêmemen­t difficile à saisir. »
PETE MAROVICH AGENCE FRANCE-PRESSE Le trumpisme semble d’abord et avant tout un mouvement centré sur la personne de Donald Trump, qui cherchait son propre profit et choisissai­t ses orientatio­ns pour faire plaisir à sa base. « Le trumpisme est un phénomène extrêmemen­t difficile à saisir. »

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