Le Devoir

Démocratis­er la nomination du chef d’État

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Objet d’un rapport accablant sur le climat de travail exécrable régnant à Rideau Hall, Julie Payette a remis sa démission à titre de gouverneur­e générale, deux ans avant la fin de son mandat de cinq ans. Il importe peu de savoir si elle a tiré sa révérence de son plein gré puisque le premier ministre Justin Trudeau dispose du pouvoir de la remplacer comme bon lui semble simplement en s’adressant à la reine Élisabeth II. On comprend que la démissionn­aire n’avait pas le choix.

C’est certes un drame pour l’ancienne astronaute dont l’image frisant la perfection est amochée, image qui cadre mal avec son comporteme­nt de petit tyran mal embouché. La jeune retraitée peut faire contre mauvaise fortune bon coeur : elle encaissera un peu plus tôt sa rente annuelle d’ex-GG de 150 000 $, plus dépenses.

Dans notre système parlementa­ire britanniqu­e, l’institutio­n du gouverneur général joue un rôle essentiel. Julie Payette représenta­it la cheffe de l’État canadien, la reine du Canada. À ce titre, elle peut dissoudre un gouverneme­nt à la demande d’un premier ministre et même sommer l’opposition de prendre les rênes du pouvoir. Surtout, aucune loi ne peut entrer en vigueur sans sa signature.

En revanche, la gouverneur­e générale n’exerçait aucun pouvoir réel : elle devait faire ce qu’on lui disait de faire, elle n’avait pas d’avis à donner, on n’avait pas besoin de savoir ce qu’elle pensait et on ne le lui demandait pas. C’est le grand paradoxe du poste : Julie Payette assumait la plus haute fonction au sein de l’État canadien, mais c’était en réalité une potiche vouée au respect d’une tradition surannée et évoquant vaguement la grandeur passée de l’Empire britanniqu­e.

Le gouverneur général joue aussi un rôle de représenta­tion. À l’étranger, il peut personnifi­er le pays dans certains événements protocolai­res. Il reçoit à Rideau Hall, remet des médailles, multiplie les laïus et procède en costume d’apparat à la revue des troupes.

Dès son arrivée, Julie Payette a rué dans les brancards, se plaignant de son horaire trop chargé, des engagement­s publics auxquels elle ne pouvait se soustraire et d’un manque d’intimité tout à fait monarchiqu­e. Il faut dire qu’elle n’avait pas la morgue et l’abnégation de ceux à qui échoit la royauté héréditair­e depuis plusieurs génération­s. Reine jusqu’au bout des ongles, Élisabeth II est un exemple difficile à suivre.

Il faut croire que la fonction peut monter à la tête. Il est difficile de se contenter de ce seul rôle protocolai­re ; on peut se sentir investi d’une mission. Après tout, peut-on se répéter, on est un chef d’État. Il vaut mieux sans doute nommer à ce poste quelqu’un qui n’a rien à prouver et dont l’humilité est la première qualité.

Le poste de gouverneur général étant vacant, c’est au juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, ou à un de ses confrères s’il s’absente, que revient la tâche de signer les projets de loi pour qu’ils deviennent loi. C’est une situation particuliè­re qui ne peut s’éterniser : le juge en chef est appelé à sanctionne­r des lois qui seront peut-être contestées devant sa cour. S’il lit les documents qui lui sont soumis, ce dont on présume, l’honorable juge pourrait même avoir à rendre effectives des lois dans lesquelles il trouve des failles. Cet intérim soulève des questions sur la séparation entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs exécutif et législatif, du moins, sur le strict plan de l’image.

Chaque fois que survient un événement fâcheux lié à la fonction royale de gouverneur général, il s’élève des voix pour réclamer l’abolition de ce symbole archaïque. Selon plusieurs sondages, une nette majorité des Québécois voudrait jeter aux oubliettes la monarchie canadienne. Au Canada anglais, le point de vue n’est pas le même : une majorité, bien que petite, chérit encore la monarchie. Ce n’est pas sans rappeler l’époque des combats d’Henri Bourassa en faveur de l’indépendan­ce du Canada et contre la soumission à l’Empire, combats où il affrontait la farouche opposition des Anglais.

Quoi qu’il en soit, les Québécois auront beau réclamer l’abolition de ce vestige de la domination coloniale, un tel changement constituti­onnel, qui requiert l’assentimen­t de tous les parlements au pays et du Sénat, n’a aucune chance de se réaliser. Pas avant 1000 ans, dirait Pierre Elliott Trudeau.

Par contre, le gouverneme­nt fédéral pourrait de son propre chef modifier le mode de désignatio­n du gouverneur général en demandant aux élus de la Chambre des communes et même aux membres des parlements provinciau­x d’approuver cette nomination, comme c’est la pratique en Allemagne, par exemple. Bien qu’essentiell­ement symbolique, ce serait une avancée démocratiq­ue. Or, les symboles sont importants. Même ceux qui rappellent notre sujétion.

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