Le Devoir

Mission avortée

- KONRAD YAKABUSKI

Pendant sa vie d’astronaute, Julie Payette faisait partie d’un club sélect de gagnants. Si tout enfant ou presque rêve d’aller un jour dans l’espace, force est de constater que peu de gens réussissen­t à concrétise­r cet objectif. Seule une poignée de Canadiens, dont deux femmes, sont allés au bout de ce rêve depuis que ce pays a commencé à participer aux missions spatiales américaine­s dans les années 1980. Afin d’y arriver, ils devaient faire preuve d’une discipline exceptionn­elle. Ce n’est pas pour rien qu’on les admire. Ils le méritent pleinement.

Pour un gouverneme­nt aussi axé sur l’image que celui du premier ministre Justin Trudeau, on comprend que le profil de Mme Payette pouvait sembler irrésistib­le alors qu’il cherchait comme gouverneur général un successeur au très affable David Johnston. Nommé en 2010 par l’ancien premier ministre Stephen Harper, sur la recommanda­tion d’un comité indépendan­t créé à cette fin, l’ancien président de l’Université de Waterloo — qui avait longtemps enseigné à la Faculté de droit de l’Université McGill — avait si bien rempli ses fonctions comme représenta­nt de la reine Élisabeth II au Canada que M. Trudeau avait prolongé son mandat à Rideau Hall jusqu’en 2017. M. Trudeau aurait dû profiter de ce sursis pour amorcer une recherche exhaustive afin de trouver un digne remplaçant. Il a plutôt choisi de faire confiance à son intuition, avec le résultat que l’on connaît.

Si Mme Payette avait connu une belle carrière comme astronaute, elle avait connu moins de succès après avoir raccroché son scaphandre spatial. Ses brefs passages au Centre des sciences de Montréal et au Comité olympique canadien furent ternis par des allégation­s de harcèlemen­t. M. Trudeau ne pouvait pas ignorer ces détails pour le moins inquiétant­s. Mais, il était si sûr de son coup qu’il s’est passé du processus de sélection instauré par M. Harper afin d’éviter un mauvais choix.

M. Trudeau doit aujourd’hui payer le prix de son arrogance. La démission de Mme Payette, après un rapport accablant faisant état d’un climat de travail toxique à Rideau Hall, aura démontré une fois de plus le manque de jugement d’un premier ministre qui ne semble pas toujours prendre ses responsabi­lités au sérieux. Il voyait en Mme Payette quelqu’un qui saurait incarner le rôle d’une vice-reine, comme s’il s’agissait d’un casting digne d’un film d’Hollywood. Il s’est non seulement trompé royalement, mais il a également commis une grave injustice en permettant à Mme Payette de demeurer en place aussi longtemps. Elle laisse une tache indélébile sur la fonction de gouverneur général.

L’erreur de sa nomination s’est manifestée sitôt après l’entrée en fonction de Mme Payette en 2017. Plutôt que de s’adapter, en toute humilité, aux exigences du poste, elle se comportait comme Marie-Antoinette. Elle n’avait guère intérêt à côtoyer « le peuple » et a entrepris des rénovation­s à Rideau Hall afin de protéger son intimité, au coût de plusieurs centaines de milliers de dollars. Dans un discours prononcé moins d’un mois après son assermenta­tion, elle a commis une bourde impardonna­ble en s’étonnant que « dans une société instruite… nous soyons encore en train de débattre et de nous demander si la vie est le résultat d’une interventi­on divine ou si elle résulte d’un processus naturel ou encore moins, oh mon Dieu, d’un processus aléatoire ». Elle avait beau voir son poste comme un formidable tremplin pour la promotion de la science, son mépris envers les croyants était indigne d’une gouverneur­e générale, qui se doit d’éviter toute controvers­e.

Personne n’a été surpris lorsqu’à l’été dernier une enquête de la CBC a révélé la révolte dans les rangs au Bureau du secrétaire du gouverneur général. Plusieurs employés ont parlé des humiliatio­ns en série subies de la part de Mme Payette et de son bras droit au BSGG, Assunta Di Lorenzo. Le Bureau du Conseil privé a alors commandé un rapport indépendan­t sur les allégation­s. Or, cela n’avait pas empêché M. Trudeau de déclarer, en septembre dernier : « Nous avons une excellente gouverneur­e générale en ce moment, et je pense qu’avec la crise de la COVID, personne ne veut d’une crise constituti­onnelle. » Est-ce qu’il était encore dans le déni ? Ou est-ce qu’il prenait tout simplement les Canadiens pour des dupes ?

Devant les journalist­es vendredi, M. Trudeau a encore refusé de reconnaîtr­e son erreur d’avoir nommé

Mme Payette ou de dire s’il allait remettre en place un comité indépendan­t pour recommande­r des candidats à sa succession. Si un débat sur l’avenir de la monarchie s’impose un jour, force est de constater que le Canada n’est pas à la veille de renverser son ordre constituti­onnel actuel, surtout pas avant les prochaines élections fédérales. Il ne serait pas souhaitabl­e que le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, qui occupe les fonctions de vice-roi sur une base intérimair­e, ordonne une dissolutio­n du Parlement le moment venu. Une telle décision relève d’un chef d’État en bonne et due forme. M. Trudeau devrait vite apprendre de son erreur en consultant de vrais experts avant de nommer un successeur à

Mme Payette. Il ne devrait surtout pas se fier à son pif.

Justin Trudeau doit aujourd’hui payer le prix de son arrogance. La démission de Julie Payette, après un rapport accablant faisant état d’un climat de travail toxique à Rideau Hall, aura démontré une fois de plus le manque de jugement d’un premier ministre qui ne semble pas toujours prendre ses responsabi­lités au sérieux.

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