Soupçons de jazz
Des suggestions de Guillaume Bourgault-Côté
Ce que seront l’hiver et le printemps jazz sur le plan discographique demeure un brin mystérieux : les étiquettes et distributeurs dévoilent peu leur jeu, au-delà de quelques parutions plus proches. Une première sélection ramène la liste à cinq propositions attendues, que voici.
Dominique Fils-Aimé,
Three Little Words, Ensoul Records (12 février) Février devient un rendez-vous quasi annuel pour Dominique Fils-Aimé.
Deux ans pile après le remarquable et très remarqué Stay Tuned !, qui suivait d’un an Nameless, l’auteurecompositrice-interprète montréalaise complétera le mois prochain son triptyque d’albums qui explorent les héritages de la musique afroaméricaine. Il y a la forme : ce soul-jazz-R&B soigné et inspiré. Mais il y a aussi le fond : ces enjeux sociétaux (sur le racisme, notamment) que Dominique Fils-Aimé met habilement sur la table à chaque chanson et qui donnent à son projet une résonance et une profondeur rares.
Charles Lloyd, Tone Poem, Blue Note (12 mars)
Quatre-vingt-deux ans et une pertinence renforcée à chaque album. D’année en année, le saxophoniste
Charles Lloyd enrichit d’un projet à l’autre une oeuvre déjà immense. Il remet ça le 12 mars sur l’étiquette Blue Note avec Tone Poem, qu’il présente entouré de son groupe The Marvels (Bill Frisell, Reuben Rogers, Eric Harland et Greg Leisz). On comprend que le répertoire choisi ira d’Ornette Coleman… à Leonard Cohen (Anthem). « Les images de sa poésie et ses mélodies sombres et émouvantes parlent à ma mélancolie », disait récemment Lloyd au magazine Downbeat.
Misc, Partager l’ambulance, Bonsound (3 février)
Près de cinq années auront filé entre la parution du premier album du trio montréalais Misc et Partager
l’ambulance, attendu le 3 février. Jérôme Beaulieu, William Côté et Simon Pagé promettent un album qui « reflète la crise globale qui secoue l’humanité et les choix qui se présentent à elle » — ce qui s’appelle un gros programme. Le son Misc se caractérise par une solide assise jazz nourrie d’électro, de pop, de rock et d’échantillonnages divers : assurément l’un des groupes québécois les plus audacieux et les plus intéressants. Parmi les autres sorties locales à surveiller, cette fois sur le label Effendi : le Jazzlab Orchestra (mars), le pianiste François Bourassa (un solo pour avril) et son collègue Rafael Zaldivar, qui sera accompagné de la grande batteuse Terri Lyne Carrington (juin).
Jon Batiste, We Are, Verve (19 mars)
Ceux qui ont vu le fort joli film d’animation Soul, du réalisateur Pete Docter, auront remarqué la qualité de la bande originale signée par le pianiste et chanteur Jon
Batiste. Celui qui est directeur musical pour The Late Show with
Stephen Colbert présentera en mars un nouvel album chez Verve, que l’on présente comme une fusion de R&B, de soul, de funk, de rap, de punk, de jazz et de classique (oui, ça couvre large) et qui sera accompagné de quatre courts métrages d’animation. Militant pacifiste des mouvements Black Lives Matter et Remember to Vote, codirecteur artistique du National Jazz Museum à Harlem, pianiste lumineux, Batiste décrit ce qu’il fait comme étant de la « social music » : il n’y a jamais rien d’inutile dans ce qu’il fait. Loin de là.
33 tours et 180 grammes
Voilà une bonne décennie que les principales maisons de disques jazz s’appliquent à mettre en valeur leur catalogue passé en profitant de la popularité du vinyle. Les dernières années ont vu un renforcement de cette tendance et de la qualité (les disques 180 grammes sont la norme) de ce qu’on remet sur le marché. On porte attention aux détails, en somme. ECM s’y est mise, Verve et Impulse ! Records aussi (la série Vital Vinyl). Mais on notera pour cet hiver et ce printemps la bonification des deux séries de Blue Note (Vinyl Reissue et Tone Poet), avec des rééditions d’albums légendaires de Shorter, d’Adderley, de Blakey, de Mobley, de Clark, de Hancock, de Morgan et d’autres géants. Que du gros matériel sur lequel déposer l’aiguille.