Le Devoir

Repenser l’art, pendant qu’on ne peut pas en faire

Qu’est-ce qui attend les arts de l’autre côté de la pandémie ?

- CATHERINE LALONDE

Cette rentrée culturelle est inédite. Déjà, celle de l’automne 2020 se démarquait par la forte empreinte de la pandémie. Celle-ci se déploie alors que les arts sont en interrupti­on, tandis que, derrière les portes closes, la création se poursuit dans l’attente de lendemains qui chantent. Une cessation assez lourde déjàde conséquenc­es tangibles et majeures pour que le milieu et ses observateu­rs commencent à penser qu’il faudra un « recommence­ment » de la culture, plutôt qu’une « reprise ». Réfléchir le futur, réfléchir les prochaines créations et de nouvelles dramaturgi­es ? Alors qu’on ne sait pas où on s’en va ni ce qui attend les arts de l’autre côté de la pandémie ? Alors qu’on ne sait pas ce qui va faire du sens ni comment on va travailler ? J’ai eu des semaines entières bookées de conversati­ons et de recherche de solutions. Est-ce que j’ai vraiment besoin, en ce moment, d’être productive, même dans ma réflexion ? » « J’ai une ’tite lassitude, là », soupire la circassien­ne et metteure en scène Claudel Doucet, à la tête de Lion Lion, avec un sourire compensate­ur dans la voix.

« Je souhaite de tout coeur que tout le monde soit en train de se réinventer, mais je ne crois pas que ce soit le cas. J’ai l’impression de pédaler dans le vide. » Depuis le début de la pandémie, plusieurs artistes de toutes discipline­s ont voulu profiter du temps dégagé par l’arrêt du milieu culturel pour réfléchir et repenser les arts et leurs pratiques. En cette rentrée culturelle inédite — une rentrée presque sans oeuvres vivantes… —, Le

Devoir a voulu cueillir, de manière presque impression­niste, des parcelles de ces réflexions en cours, en por

tant son regard sur le cirque, la danse et le théâtre. Une récolte teintée par une notable incertitud­e, par un sentiment d’impuissanc­e, de fatigue, et souvent de la tristesse, même.

Elle avait du mal à rester positive, Claudel Doucet, lors de son entretien avec Le Devoir. C’est que le milieu québécois du cirque subit, avec la pandémie, une tempête presque parfaite. « La spécificit­é absurde du cirque québécois », explique l’acrobate devenue metteure en scène, « c’est qu’il ne tourne pas au Québec. Il y avait un én-or-me marché extérieur », scande-t-elle. À l’appui, la

toute récente enquête d’En piste — Mme Doucet est membre du conseil d’administra­tion —, qui relate que le chiffre d’affaires réalisé à l’extérieur du Canada a chuté de 89 %.

Le milieu s’articulait depuis des décennies sur la santé financière des trois géants que sont le Cirque du Soleil, Les 7 doigts et Éloize. « On sait tous que l’an prochain, on ne pourra pas se remettre à faire de la tournée comme on en faisait, indique Mme Doucet. Juste du point de vue logistique, c’est impossible. » À moins d’une volte-face spectacula­ire — le cirque en est capable —, l’effondreme­nt du modèle est à prévoir. « Les jours où je suis positive, je me dis qu’il y a plein de petites compagnies champignon­s qui vont avoir de la place pour pousser, et qu’on va pouvoir explorer, remettre en question des processus, entrer dans la réflexion, faire des choix radicaux. »

Princesses du cirque à succès

Car le succès commercial du cirque était aussi un piège créatif, selon Mme Doucet, qui a tourné pendant 10 ans dans « des rôles et des propos toujours très minces, avec beaucoup, beaucoup de princesses, et du simili

sexy commercial. » Yves Sheriff, ex-dépisteur de talents pour le Cirque du Soleil, croit aussi qu’une nouvelle génération va émerger, avec une vision du cirque plus européenne, plus artistique, permettant les croisement­s avec la danse, par exemple. Mais où pourra-t-on voir ces oeuvres ?

Certes, la pandémie a quelques avantages : elle a entraîné une mise en commun des ressources. « Tous les espaces de création sont ouverts à l’entraîneme­nt — la Tohu, les 7 doigts, Éloize », indique encore Mme Doucet. « Il y a eu mise en place de résidences dans les locaux, des initiative­s de solidarité, beaucoup moins de compétitio­n. Les structures se sont ouvertes les unes aux autres, les individus se sont responsabi­lisés. Ça, c’est quand je suis positive. »

« Quand je suis négative, poursuit Mme Doucet, je lis que 9 répondants sur 10 à l’enquête d’En Piste envisagent une transition de carrière et que 60 % des organismes comptent devoir cesser leurs activités s’ils ne reçoivent pas une aide supplément­aire d’ici au 31 mars 2021. » Difficile alors d’imaginer l’avenir. « Quand ça fait presque un an que tu fais tous tes push-ups dans ta chambre, que tu pratiques ton numéro, que tu en as monté deux nouveaux, mais que tu ne sais pas quand tu vas pouvoir les montrer, c’est difficile de penser l’avenir… »

« Décrivez votre démarche… »

« Dès le début de la pandémie, il y a eu beaucoup de privations et des enjeux, avec tous les projets annulés

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 ?? PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Des artistes de théâtre en pleine création et répétition. On reconnaît les comédiens Mani Soleymanlo­u, Olivier Kemeid et Monique Spaziani, entre autres.
PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Des artistes de théâtre en pleine création et répétition. On reconnaît les comédiens Mani Soleymanlo­u, Olivier Kemeid et Monique Spaziani, entre autres.

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