Monsieur et ses fantômes
Le créateur de la série Luther mélange avec brio affaires criminelles et phénomènes paranormaux dans The Sister
Idris Elba lui doit une fière chandelle, même si les mérites de l’acteur étaient déjà bien connus (The Wire, The Office) avant même qu’il ne triomphe dans la série Luther (2010-2019). Son statut de star rejaillit donc un peu sur Neil Cross, créateur au flair avisé pour les intrigues tordues et les personnages à l’âme tourmentée. Et cet inspecteur de la brigade criminelle portant le nom d’un célèbre théologien allemand aux idées révolutionnaires, Cross l’a imaginé faisant lui aussi sa révolution dans les rues de Londres : il valait mieux ne pas croiser sa route.
Le scénariste, également écrivain, n’a jamais caché l’étendue de ses propres démons intérieurs, et sa candeur s’avère tout aussi étonnante lorsqu’il dévoile la source d’inspiration de son roman Burial (Simon & Schuster, 2009), fondation de sa nouvelle série en quatre épisodes The Sister. Pendant de nombreuses années, Cross fut hanté par des hallucinations dans lesquelles il commettait un crime atroce, événement qui aurait eu lieu lors d’une nuit de beuverie (il en a connu quelques-unes !).
La vision qui le pourchassait semblait si précise, et si récurrente, qu’il se croyait l’auteur d’un véritable crime, au point de scruter avec frénésie tout ce que les médias rapportaient dans le domaine du fait divers et des découvertes de preuves criminelles. Heureusement pour lui et pour Idris Elba, il n’était coupable de rien et a pu mener sa carrière, ses démons à ses côtés.
On peut ainsi percevoir des éléments autobiographiques dans le premier épisode de cette minisérie réalisée par Niall MacCormick qui mélange habilement affaires de moeurs, intrigues criminelles et phénomènes paranormaux. L’alter ego de Cross ressemble à Nathan (Russell Tovey, l’angoisse incarnée), homme respectable à tous points de vue, visiblement
prospère, du moins à en juger par sa maison, que l’on pourrait croire conçue par un émule de Frank Lloyd Wright. En quelques minutes à peine, cet univers bien lisse affiche quelques fissures, devenues visibles avec l’arrivée impromptue de Bob (foudroyant Bertie Carvel), dont l’allure déglinguée accentuée par la pluie battante annonce tout de suite chez Nathan la présence d’un danger potentiel.
En 2010, soit dix ans avant cette visite inopinée, ils se connaissaient déjà, au point de se retrouver à une même soirée du Nouvel An qui a visiblement pris une tournure dramatique. Car c’est depuis ce moment précis qu’a disparu la splendide Elise (Simone Ashley), et tous ignorent ce qui a bien pu lui arriver. Kidnapping ? Meurtre ? Sa famille, toujours aux abois, espère encore son retour, ou une explication, même la plus douloureuse. Or Nathan est marié à Holly (Amrita Acharia) depuis 2013, détail troublant puisqu’il s’agit de la soeur d’Elise.
Que Bob débarque dans la vie de Nathan après toutes ces années provoque bien des remous, et oblige ce garçon respectable à multiplier pirouettes et mensonges, entre autres sur ce qui l’unit à cet illuminé persuadé de capter la voix des morts. Car une d’entre elles, celle d’Elise, proviendrait d’une forêt où elle fut enterrée à l’époque, endroit où se trouvaient les deux hommes en cette nuit fatidique et où sera bientôt construit un nouveau projet immobilier. Pendant les travaux d’excavation, on risque de tomber sur un cadavre, des traces d’ADN, donc celles de celui ou de ceux qui l’ont assassinée…
Tout comme Nathan, dont l’anxiété ne semble jamais le quitter, nous sommes plongés dans un univers angoissant, incompréhensible, partageant son scepticisme sur les théories farfelues de Bob. Car il y voit un subterfuge pour retourner sur les lieux du crime, évoqué par quelques images furtives visiblement destinées à brouiller les pistes, et à éviter de sauter trop vite aux conclusions. En fait, on peut surtout se demander quand, et comment, Holly découvrira le lien qui unit son époux à sa soeur disparue. Quelque chose comme l’éléphant dans une magnifique maison de verre.
Mais celle-ci n’est pas souvent baignée de lumière, le directeur de la photographie Ben Wheeler ne lésinant jamais sur les atmosphères obscures, pour ne pas dire lugubres, semblables à celles de la remarquable série policière The Fall, avec Gillian Anderson et Jamie Dornan. À la (grande) différence que, dans The Sister, nous connaissons l’identité des coupables, mais de quoi exactement ? Rien n’est moins sûr tant leurs souvenirs sont diffus et fragmentés. La véritable culpabilité de Nathan seraitelle plutôt d’avoir réussi à séduire une femme encore hantée par la disparition de sa soeur et qui cache des informations qu’elle réclamait, larmes aux yeux, devant les caméras de télévision en 2013 ? Comme par hasard, c’est l’année de sa rencontre avec Nathan, qui se dit en quête d’une maison pour mieux approcher Holly, agente immobilière.
Seul le premier des quatre épisodes était offert en visionnement au Devoir. La frustration fut vite remplacée par l’enthousiasme de pouvoir poursuivre la découverte de ce gigantesque labyrinthe où se côtoient assassins et fantômes, manipulateurs et âmes en peine. Ce n’est pas aussi spectaculaire et tonitruant que Luther (avis aux admirateurs : Neil Cross prépare une adaptation pour le cinéma), mais The Sister distille avec virtuosité une angoisse persistante. On en vient presque à croire aux fantômes.
The Sister (V.O et V.F.)
Crave, les deux premiers épisodes en ligne dès le 29 janvier, 21 h