Le Devoir

Toute une rassembleu­se

- BRIAN MYLES

La commissair­e à la lutte contre le racisme et la discrimina­tion systémique­s à Montréal, Bochra Manaï, amorce son travail dans une controvers­e qui n’en finit plus d’enfler. Après que le cabinet du premier ministre François Legault eut déploré sa nomination en raison de ses critiques antérieure­s de la Loi sur la laïcité de l’État, c’était au tour d’un collectif d’une quarantain­e d’auteurs de critiquer cette semaine dans nos pages « l’inquiétant­e intoléranc­e » de la nouvelle commissair­e. Comment Bochra Manaï en est-elle arrivée à susciter un tel courant de suspicion en si peu de temps ?

Une partie de la réponse vient de l’extrême sensibilit­é des partisans de la Loi sur la laïcité de l’État à toute forme de critique du projet. La loi 21 cristallis­e la volonté d’affirmatio­n des nationalis­tes québécois. En dépit de ses imperfecti­ons — il a tout de même fallu l’enrober de la protection de la dispositio­n de dérogation de la Constituti­on —, il semble que la défense tous azimuts de la Loi sur la laïcité de l’État fasse désormais partie des figures imposées au sein du mouvement.

On reproche à Mme Manaï d’avoir fait de déplorable­s amalgames entre la loi 21 et le racisme des Québécois, tout en recourant à des insinuatio­ns et à des amalgames pour faire le procès d’intention public de la chercheuse. C’est un jeu dangereux, qui n’est pas de nature à rassurer quant à l’ouverture à la dissidence d’une partie importante de l’électorat.

Le plus surprenant dans toute cette histoire, c’est que la défense de la laïcité ne fait même pas partie du mandat de la commissair­e à la lutte contre le racisme, un poste créé par l’administra­tion Plante à la suite de la publicatio­n d’un rapport pertinent mais contesté de l’Office de consultati­on publique de Montréal (OCPM). Ses deux priorités absolues seront d’élaborer un plan directeur sur les embauches à la Ville de Montréal et de s’attaquer à la bête du profilage racial qui sommeille au plus profond de la police de Montréal.

Plus du tiers de la population de Montréal s’identifie à une minorité visible ou à un groupe autochtone. Soixante pour cent des Montréalai­s sont nés à l’étranger ou ont un parent né à l’étranger. Dans la fonction publique municipale, ils comptent pour 19 % de l’effectif (et moins de 2 % chez les cadres). Les travaux de l’OCPM ont démontré l’utilité du poste de commissair­e à la lutte contre le racisme : les malaises à se doter d’instrument­s pour recenser le problème de racisme et de discrimina­tion systémique­s, le boycottage des consultati­ons par des représenta­nts syndicaux, l’éternel sur-place du SPVM en matière de lutte contre le profilage racial témoignent des difficulté­s de voir la réalité en face et de remédier d’une manière pérenne aux iniquités de traitement que vivent les Montréalai­s d’une couleur de peau différente.

Cela étant dit, il y a lieu de s’interroger sur le choix de Valérie Plante. Le nouveau poste de commissair­e à l’antiracism­e requiert du doigté, des aptitudes en communicat­ion publique, des capacités de rassembler au lieu de diviser. À la mode de Projet Montréal, Mme Plante a fait du militantis­me un critère primordial de recrutemen­t en choisissan­t Mme Manaï parmi une liste de 120 candidats. Qu’elle ait traité la loi 21 « d’antidémocr­atique » passe encore. La critique doit être permise dans une société démocratiq­ue sans qu’on coure le risque que ceux qui l’exercent soient diabolisés. Mais dire grossièrem­ent que le Québec « est devenu une référence pour les suprémacis­tes et les extrémiste­s du monde entier », en mêlant la loi 21, les attentats de la mosquée de Québec et ceux de Christchur­ch (en Nouvelle-Zélande) dans la même logorrhée constitue un coup bas.

En entrevue, Mme Manaï a déclaré qu’il serait dommage de réduire ses dix ans d’implicatio­n et de travail sur des questions d’exclusion sociale et de pauvreté à quelques malencontr­euses déclaratio­ns. Elle a bien mal campé les termes du débat. Il fallait l’entendre s’enfoncer au micro de Bernard Drainville. Bon prince, l’animateur du 98,5 lui a pratiqueme­nt télégraphi­é la réponse qu’il attendait d’elle afin d’amenuiser la controvers­e et de lui donner une chance. La loi 21 est-elle raciste ? lui a-t-il demandé cinq fois. La dame a refusé obstinémen­t de répondre.

Certes, ne réduisons pas son implicatio­n profession­nelle et sa contributi­on à la recherche à quelques déclaratio­ns. Constatons cependant que l’addition des gaffes non reniées fait d’elle une candidate au jugement discutable.

Mme Manaï souhaite « bâtir des ponts, établir un rapport de confiance et un dialogue ». Ce sont des éléments essentiels pour asseoir la crédibilit­é du nouveau bureau de lutte contre le racisme. Son manque de discerneme­nt ne la disqualifi­e pas pour le poste, mais il contribue à rehausser ce défi d’un cran, et c’est le plus dommage dans cette histoire. L’administra­tion Plante compromet ses chances d’être écoutée dans la lutte nécessaire et difficile pour faire de Montréal un milieu de vie caractéris­é par l’égalité de traitement.

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