Le Devoir

Des millions de tests de dépistage rapide laissés de côté

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Le gouverneme­nt du Québec n’a employé qu’une infime partie des millions de tests de dépistage rapide pour la COVID-19 livrés par Ottawa depuis octobre. Au 21 janvier, il avait seulement utilisé 13 000 des 2,6 millions de tests reçus, selon les données fournies au Devoir par le ministère de la Santé.

« C’est une approche trop conservatr­ice, qui ne suit pas la science, qui a fait rater l’occasion de diminuer le taux de transmissi­on et qui, sûr et certain, a coûté la vie à des Québécois », a déclaré en entrevue le microbiolo­gisteinfec­tiologueau Centre universita­ire de santé McGill Don Sheppard.

Il s’explique mal la réticence du Québec à utiliser un outil qui pourrait lui permettre de briser la chaîne de transmissi­on du coronaviru­s. « Si on attend que les gens soient symptomati­ques, on va manquer la majorité des gens contagieux dans les communauté­s, a-t-il expliqué. Un outil qui détecte un pourcentag­e de cette population, c’est mieux qu’aucun outil et, présenteme­nt, on n’a aucun [autre] outil. »

Il cite une étude publiée en décembre dans le New England Journal of Medicine où on montrait qu’une majorité de recrues au sein de la marine américaine avaient obtenu un résultat positif à la COVID-19 malgré l’absence de symptômes.

Selon le professeur, les tests de dépistage rapide devraient être utilisés dans les centres d’hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD), dans les résidences privées pour aînés, dans les milieux de travail et dans les écoles. « Imaginez si chaque personne qui voudrait entrer dans un CHSLD était testée deux fois par semaine et qu’on détectait la moitié des gens infectés. À ce moment-là, on réduirait le taux de transmissi­on de 50 % », a-t-il dit, en extrapolan­t.

C’est ce que demande l’opposition officielle depuis la livraison au Québec des premiers tests de dépistage rapide, à la fin d’octobre. « C’est déplorable dans le contexte dans lequel on est », a dit, indignée, la députée libérale Marie Montpetit, qui a fait de cette question l’un de ses chevaux de bataille. « Je ne comprends pas l’entêtement du gouverneme­nt du Québec, l’entêtement du ministre de la Santé à refuser d’utiliser des outils supplément­aires pour nous aider à prévenir des éclosions. »

Résistance

La stratégie du gouverneme­nt pour le déploiemen­t des tests de dépistage rapide est nébuleuse. Le ministère de la Santé indique qu’il compte maximiser leur utilisatio­n dans le cadre de projetspil­otes, « dont plusieurs en milieux de vie », et d’un projet de recherche dans deux écoles secondaire­s de Montréal. Or, cette approche fragmentai­re est due à la résistance de certains scientifiq­ues associés à l’Institut national de santé publique (INSPQ) qui conseillen­t le gouverneme­nt, selon une source qui n’était pas autorisée à parler publiqueme­nt.

Le premier ministre François Legault avait pourtant indiqué que ces tests seraient peut-être utilisés de façon aléatoire « dans les écoles, ailleurs dans les cliniques » de quatre quartiers au nord et à l’est de Montréal, où le nombre de cas actifs dépasse le seuil de 450 par 100 000 habitants, soit Saint-Léonard– Saint-Michel, Ahunstic–Montréal-Nord, Nord-de-l’Île–Saint-Laurent et Rivièredes-Prairies–Anjou–Montréal-Est.

Ses propos ont toutefois rapidement été contredits par la directrice de santé publique de Montréal, Mylène Drouin.

Après vérificati­on, le Centre intégré universita­ire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-deMontréal a indiqué au Devoir que les tests de dépistage rapide ne font pas partie de sa stratégie présenteme­nt. Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal en utilise dans deux de ses cliniques de dépistage, « pour des clientèles répondant à des critères précis ».

« Il s’agit d’un projet-pilote et, pour le moment, nous ne pouvons pas l’utiliser ou le promettre à tous largement. Nous craignons actuelleme­nt que plusieurs usagers soient déçus de ne pas pouvoir s’en prévaloir », a souligné sa porte-parole, Catherine Dion.

Interrogé sur ces tergiversa­tions, M. Legault s’en était remis mardi au directeur national de santé publique. « Tout ça vient, en fin de compte, de ce qu’on appelle nos recommanda­tions de nos experts, qui trouvent que ces tests rapides chez les personnes asymptomat­iques peuvent amener une proportion importante de faux négatifs », a précisé le Dr Horacio Arruda.

Doute sur la fiabilité des tests

Le rapport d’experts publié à la mi-janvier met en garde le gouverneme­nt contre une « implantati­on précipitée de ces tests ». Ce comité avait été mandaté par le ministère de la Santé pour formuler des recommanda­tions sur les trois types de tests rapides que le Québec a en sa possession — ID NOW et Panbio d’Abbott et BD Veritor Plus System, dont le coût peut dépasser 6 $. Ces tests permettent tous d’obtenir un résultat en 15 minutes ou moins, mais ils sont « moins bons » que les échantillo­ns prélevés au fond du nez et de la gorge analysés en laboratoir­e avec la technique d’amplificat­ion des acides nucléiques. Ils « pourraient ne pas diagnostiq­uer jusqu’à 30 % des personnes infectées », a fait valoir le comité.

Le doute entourant la fiabilité des tests n’a pas empêché la NouvelleÉc­osse d’organiser depuis le début de l’année des cliniques de dépistage rapide dans des bars et des université­s pour détecter les personnes asymptomat­iques. « L’emplacemen­t des cliniques mobiles est choisi en fonction de l’épidémiolo­gie », a précisé la porte-parole du ministère de la Santé de la province maritime, Marla MacInnis. Les tests rapides sont utilisés pour les personnes âgées de 16 ans et plus, sans symptômes et qui n’ont pas fréquenté un lieu d’exposition potentiel au virus. Toute personne qui reçoit un résultat positif doit aller passer un test standard de laboratoir­e et doit s’isoler entre-temps.

Le Dr Don Sheppard reconnaît qu’il ne faut pas que les gens perçoivent le résultat négatif d’un test rapide comme « un passeport pour la liberté ». La crainte du gouverneme­nt québécois à cet effet est « raisonnabl­e ». « Quand on teste quelqu’un et qu’on trouve qu’il est négatif, ce n’est pas une garantie qu’il n’a pas la COVID-19 », a-til précisé. Le but est plutôt de détecter des gens contagieux qui passeraien­t autrement entre les mailles du filet.

Le comité d’experts québécois recommande l’usage des tests de dépistage rapide dans les régions isolées, « en soutien aux cliniques désignées de dépistage », dans des milieux de vie déjà aux prises avec une éclosion et « auprès de clientèles marginalis­ées », « lors d’éclosions majeures en milieu de travail et en milieu de vie pour les personnes âgées » ou lorsque la demande dépasse la capacité d’analyse en laboratoir­e. Pour l’instant, ce sont donc des millions de dollars de tests rapides qui demeurent dans des entrepôts.

Je ne comprends pas l’entêtement du gouverneme­nt du Québec, l’entêtement du ministre de la Santé à refuser d’utiliser des outils supplément­aires pour nous aider à »

prévenir des éclosions MARIE MONTPETIT

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