La science demande du temps… et une bonne dose d’humilité
L’annonce des résultats encourageants de l’étude COLCORONA de l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM) a été une agréable surprise pour plusieurs personnes. Pour d’autres, ce n’était cependant pas une révélation sortie de nulle part : l’équipe de l’ICM se doutait bien depuis le début de la pandémie que la colchicine détenait un énorme potentiel pour calmer la tempête inflammatoire qui terrasse les victimes de la COVID. De plus, les résultats préliminaires révélés au fil du temps pointaient dans la bonne direction. Des chercheurs de différents domaines observaient le tout avec grand intérêt. Mais ce qui était sur le radar de la communauté scientifique depuis des mois est passé plus ou moins inaperçu auprès de la population en général. Car tout se joue dans les laboratoires, pas devant les caméras.
De ce monde parfois mystérieux qu’est celui de la recherche, il est important de souligner et de rappeler encore et encore comment les scientifiques s’attellent à la tâche : selon les règles de l’art. En dépit de l’urgence qui sévissait, et malgré toute la confiance qui animait l’équipe de l’ICM, il lui a fallu monter un protocole, recruter des candidats, procéder comme il se doit dans le cadre d’études à double insu. Tout cela prend du temps ; un temps qui file malheureusement trop vite quand on voit la courbe de nouveaux cas grimper à une vitesse folle. Et cette façon de faire continue de s’appliquer à de nombreuses molécules faisant encore l’objet d’une investigation pour soulager les multiples symptômes de la COVID. Parce que la science n’a que faire de l’impatience du public, et encore moins de celle des scientifiques : elle demande du temps. Elle ne leur pardonnera pas de précipiter quoi que ce soit, de tourner les coins ronds, de faire le paon en criant sur les toits qu’on tient un bon filon.
Patience
Car ce qu’il faut surtout remarquer, c’est qu’ici personne n’est monté aux barricades — crinière au vent et couteau entre les dents — pour réclamer à grands cris qu’on autorise la distribution de colchicine de toute urgence. Sous prétexte que « nous, on sait » ou que « dans notre unité, ça fonctionne bien ». Chose qu’on a vue peut-être trop souvent cette dernière année. Les gens de l’ICM ont plutôt posément et systématiquement mis en place une étude à vaste échelle, retenu leurs ardeurs pour ne pas créer de faux espoirs, gardé un optimisme prudent et attendu de détenir assez de résultats pour conclure à un certain niveau d’efficacité. D’où l’annonce de vendredi dernier. Sans trop de tambours ni de trompettes. Car ces résultats doivent maintenant être révisés et approuvés. Ce qui prendra encore, oui, un peu de temps.
La colchicine a-t-elle une place dans la pharmacopée anti-COVID ? Et si oui, laquelle ? Il n’y aura pas de médicament miracle unique pour traiter cette maladie aux multiples facettes. Si la colchicine contribue à amoindrir les symptômes et à réduire la durée des hospitalisations, ce sera assurément bienvenu. Ça reste à préciser, et là aussi il y a toute une série d’étapes à respecter. Mais il y a fort à parier que les chercheurs de l’ICM ne se transformeront pas en vedettes de YouTube dans les prochains jours, protestant qu’on les muselle et que l’on complote contre eux. Ce serait beaucoup de bruit pour rien, comme dirait Shakespeare. Plutôt, ils continueront de plancher et de réviser leurs données en fonction des avis exprimés par les comités de pairs qui étudieront leurs résultats. Bref, ce n’est pas demain matin qu’on pourra faire remplir notre ordonnance. Mais si ces résultats sont probants, ça se fera un jour. Et nous n’aurons pas besoin qu’un président, fût-il américain ou brésilien, en vante les mérites pour que son utilisation se répande.
Nous devons nous armer de patience, encore une fois. Dans le contexte d’une pandémie, le temps nous fait défaut, mais les scientifiques n’ont d’autre choix que de justement prendre le temps qu’il faut. Et, surtout, de rester humbles et concentrés sur la tâche à accomplir.