Zoom sur Lubalin, le Montréalais qui brille sur TikTok |
L’auteur-compositeur-interprète montréalais jouit d’une notoriété mondiale subitement acquise grâce à ses clips publiés sur TikTok
C’est simplement par politesse que l’on pose la question à Lubalin puisqu’on connaît déjà sa réponse : « Ça va super bien, merci ! » exulte l’auteur-compositeur-interprète — et accessoirement acteur principal de ses propres clips humoristiques —, qui depuis quelques semaines jouit d’une notoriété mondiale subitement acquise grâce à TikTok, le réseau social où les usagers partagent de courts clips et qui, depuis un an et demi, est devenu un véritable tremplin pour de nouveaux talents, un phénomène dont l’industrie musicale a pris acte.
Lubalin a commencé à expérimenter avec la plateforme TikTok à l’automne 2019, mais il n’avait publié qu’une douzaine de clips — des petits gags, des reprises de succès rap —, avant que ne lui vienne cette idée qui fera de lui la star virale de l’heure : transformer en petites chansons pop-r&b de véritables conversations entre internautes, banales mais un brin absurdes, glanées çà et là sur Twitter ou Facebook. Une série qu’il appelle Internet Drama ; son premier clip a été publié le 22 décembre dernier. En un mois à peine, il a été visionné à plus de 33 millions de reprises.
Alors, la semaine dernière, le Montréalais fut l’invité de l’animateur du talk-show The Tonight Show Starring Jimmy Fallon. Dimanche dernier, on l’a aperçu sur le plateau de Tout le monde en parle et mardi dernier, Kelly Clarkson l’interrogeait lors de sa quotidienne sur le réseau américain NBC. « C’était super cool, Kelly Clarkson a dit de belles choses sur moi », assure Lubalin lors d’un bref entretien téléphonique qui devait être le vingtième, au moins, qu’il accordait aux médias depuis le début de la semaine. « J’étais vraiment nerveux — je refuse même de regarder l’entrevue parce que j’ai peur de ce que j’avais l’air ! Je me souviens juste d’avoir dit des mots… », ajoute-t-il en rigolant.
TikTok a fait les manchettes l’année dernière pour un tas de bonnes et de moins bonnes raisons. C’est que depuis deux ans, l’application mobile développée par l’entreprise chinoise ByteDance et lancée en 2017 sur le marché mondial suscite des craintes relatives à la sécurité et à la confidentialité des données qu’elle récolte sur ses utilisateurs. En septembre dernier, l’exprésident américain Donald Trump avait même banni l’application mobile des plateformes de téléchargement aux États-Unis, une décision temporairement renversée le mois suivant par un juge de la cour fédérale. L’Australie et l’Inde en enquêtent également sur la possible collusion entre ByteDance et les autorités chinoises.
Nouveaux talents
Mais la quantité de mèmes et de phénomènes Internet qu’elle a incubés a au moins autant retenu l’attention. Exemple : en octobre dernier, le véhicule de Nathan Apodaca, un résident d’Idaho Falls appartenant à la nation arapaho, tombait en panne. Il décida de se rendre au travail en planche à roulettes, et, tout sourire, s’est filmé en chemin chantant
Dreams de Fleetwood Mac et buvant du jus de canneberges. L’attachant clip d’une quarantaine de secondes en a fait une star, propulsant le vieux succès de 1977 dans le top 10 du Billboard des chansons les plus webdiffusées (plus de 16 millions de vues la première semaine).
Chaque semaine, TikTok révèle de nouveaux talents ou réveille de vieux succès. Autre exemple : en septembre 2019, un DJ et compositeur kazakh prénommé Imanbek réalise un remix dance de Roses, une chanson enregistrée par un obscur rappeur américain, Saint JHN, trois ans plus tôt. Publié sur TikTok, le remix que ce parfait inconnu a réalisé à l’insu du rappeur est devenu la trame sonore officielle d’un mème
(TikTok hip sway).
Durant le mois d’avril 2020, le remix a été écouté à 4,5 milliards de reprises sur le réseau ; Roses (Imanbek Remix) est en nomination pour le Grammy du Meilleur enregistrement remixé. « C’est intéressant de voir comment TikTok a développé une manière, un système, pour créer du contenu, analyse Lubalin. C’est vraiment un vortex de création : quelqu’un crée quelque chose, puis quelqu’un d’autre crée autre chose à partir de ça. Tout le monde rebondit sur les idées des autres. »
L’industrie musicale n’a pas levé le nez sur la plateforme. En novembre 2020, Sony Music Entertainment annonçait un partenariat TikTok pour faciliter l’accès de son répertoire aux usagers. Warner Music Group a fait de même le 4 janvier dernier. Le palmarès Billboard Hot 100 des chansons les plus populaires est désormais inféodé aux humeurs des usagers de TikTok, un réseau aujourd’hui capable de créer des vedettes plus rapidement que les radios commerciales. Car selon le bilan annuel de la compagnie chinoise, 176 chansons différentes ont dépassé le milliard d’écoutes (de visionnements, en fait) sur TikTok en 2020.
En contrepartie, ces phénomènes semblent passer en coup de vent sur TikTok. La semaine dernière, c’était au tour de la jeune Olivia Rodrigo d’être révélée grâce à sa chanson Driver’s Licence, qui fait un tabac auprès des jeunes — elle a commencé sa course à la première place du palmarès Billboard Hot 100. La semaine précédente, la communauté TikTok n’en avait que pour les anciens chants marins, les sea shanties, rebaptisés ShantyTok sur le réseau. Tout le monde se filmait chantant en harmonie The Welleman après qu’un postier écossais de 26 ans, Nathan Evans, eut le premier diffusé sa version il y a quelques semaines. Il a depuis quitté son emploi à la Royal Mail et signé un contrat de disques avec Polydor.
Garder la hype
Lubalin fait son chemin en musique depuis plusieurs années déjà. L’an dernier, il avait signé un contrat avec la maison de disques et de gérance montréalaise Cult Nation, « et j’en suis vraiment content parce que je n’aurais pas su trouver quelqu’un en qui je peux avoir confiance en ce moment », avec le succès qui lui est tombé dessus. « C’est arrivé tellement vite que parfois, je me demande si je ne suis pas en train de vivre mes 15 minutes de gloire. Évidemment, ça ne pourra pas continuer comme ça pendant toute l’année, et il faudra ensuite trouver autre chose pour garder la hype, mais je ne sais pas si ça va continuer longtemps. Le feeling que j’ai en parlant avec mon équipe, c’est que ce n’est qu’un début et qu’il faut réfléchir à ce qui s’en vient. Quoi qu’il en soit, les gens portent attention à ma musique comme jamais auparavant, et j’en suis content. »