Le Devoir

Des Québécois friands de VUS et de pétrole

L’État de l’énergie au Québec 2021 illustre le chemin à parcourir pour atteindre les cibles de réduction des GES

- RAPPORT ALEXANDRE SHIELDS

Le Québec a beau se targuer de promouvoir la lutte contre la crise climatique, les consommate­urs sont toujours aussi friands de véhicules énergivore­s et la province consomme chaque année un peu plus de produits pétroliers. Ces constats, tirés du rapport État de l’énergie au Québec 2021, mettent en lumière l’ampleur du fossé qui nous sépare de nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

« L’insistance du gouverneme­nt québécois en faveur de l’électrific­ation, et surtout en direction du secteur des transports, n’a pas permis de faire fléchir les tendances de consommati­on de produits pétroliers et d’émissions de gaz à effet de serre », résume Pierre-Olivier Pineau, coauteur du rapport qui sera publié jeudi par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

Concrèteme­nt, les ventes de véhicules électrique­s (VE) augmentent, notamment grâce aux « importante­s subvention­s gouverneme­ntales », au point de représente­r 6 % du total en 2019. Néanmoins, la part de marché des camions légers, comprenant les véhicules utilitaire­s sport (VUS), a continué de croître. Elle représenta­it pas moins de 69 % de toutes les ventes en 2019. « Il s’est ainsi vendu environ 11 camions légers pour chaque VE vendu en 2019. Ces tendances sont contraires à l’atteinte des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre », constate le rapport, publié sur une base annuelle à partir des plus récentes données disponible­s sur le secteur de l’énergie.

Qui plus est, « depuis 2015, il se vend plus de camions — une catégorie qui comprend les minifourgo­nnettes, les véhicules utilitaire­s sport (VUS) et les camionnett­es — que de voitures au Québec — et l’écart se creuse d’année en année », précise-t-on. Les données de la Société de l’assurance automobile du Québec indiquent d’ailleurs que la croissance du nombre de camions légers en circulatio­n s’est poursuivie en 2020, puisque 140 203 nouveaux véhicules de ce type se sont ajoutés sur les routes de la province. Ils sont désormais près de 2,2 millions, contre 2,7 millions de voitures. Le nombre de voitures immatricul­ées a pour sa part reculé de 40 572 l’an dernier.

Plus globalemen­t, les données du ministère de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s indiquent que le nombre de « camions légers » sur les routes de la province a bondi de plus de 260 % depuis 1990, tandis que les émissions de gaz à effet de serre (GES) imputables à ces véhicules ont augmenté de près de 150 % au cours de la même période. Ces véhicules émettaient, en 2018, près de neuf millions de tonnes de GES.

Comment peut-on expliquer cet engouement toujours plus grand pour des véhicules personnels plus énergivore­s ? « L’offre est très abondante, l’économie se porte (artificiel­lement maintenant) bien et les taux d’intérêt sont bas : le confort du VUS gagne sur la raison. Ce n’est pas du tout cohérent avec les objectifs climatique­s, ni même économique­s, à cause de l’endettemen­t des ménages », fait valoir M. Pineau dans une réponse écrite aux questions du Devoir.

Plus de pétrole

Notre appétit collectif pour les VUS et pour l’auto solo contribue également à la croissance de notre consommati­on de produits pétroliers raffinés (PPR). Celle-ci dépasse maintenant les 360 000 barils par jour au Québec, principale­ment sous forme d’essence et de diesel.

Selon le rapport de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, les ventes de PPR ont d’ailleurs progressé de 10 % entre 1995 et 2019. Entre 2013 et 2019, celles-ci ont augmenté de 5,3 %, « ce qui constitue un défi important pour l’atteinte de la cible de réduction de la consommati­on de produits pétroliers de 40 % sous le niveau de 2013 en 2030 », comme le prévoit la Politique énergétiqu­e 2030 du Québec.

Pierre-Olivier Pineau estime d’ailleurs que cet objectif, fixé par le gouverneme­nt de Philippe Couillard, pourrait être difficile à atteindre. « Il y a des perspectiv­es qui devraient modérer la croissance future des ventes d’essence : télétravai­l et électrific­ation croissante, ainsi que les efforts de mobilité durable. Je ne crois pas qu’on assistera à une hausse continue, mais la baisse ne se fera pas naturellem­ent sans efforts supplément­aires en transport. »

Dans ce contexte, il est possible qu’un recours plus important au télétravai­l et au commerce électroniq­ue après la crise de la COVID-19 puisse avoir pour effet de réduire notre consommati­on d’hydrocarbu­res, et donc nos émissions de GES, mais ce ne sera nettement pas suffisant. M. Pineau rappelle d’ailleurs que le Plan pour une économie verte 2030 du gouverneme­nt Legault, dévoilé en novembre dernier, n’est pas suffisamme­nt ambitieux pour respecter l’objectif de réduire les émissions québécoise­s de GES de 37,5 %, par rapport à 1990, d’ici la fin de la décennie. « Les résultats envisagés permettron­t de réduire les émissions de seulement 12,4 millions de tonnes sur les 29 millions de tonnes qu’il faudrait éliminer annuelleme­nt. »

En plus de réduire radicaleme­nt les émissions dans le secteur des transports (45 % du bilan provincial en 2018), Pierre-Olivier Pineau plaide pour une réduction globale de notre consommati­on d’énergie, ce qui passe notamment par une améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e.

L’État de l’énergie au Québec 2021 permet en effet de constater que 52 % de toute l’énergie consommée dans la province est carrément « perdue ». « Les pertes sont issues des transforma­tions de l’énergie primaire en électricit­é et produits raffinés, en transport et dans les équipement­s qui ne sont pas 100 % efficaces, surtout les véhicules à moteur à essence et diesel. C’est très important de réduire ces pertes, mais c’est surtout dans les modes de consommati­on, et donc la réduction de la demande, que se trouve la voie à suivre », explique Pierre-Olivier Pineau.

Depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre (GES) imputables aux « camions légers » ont augmenté de près de 150 %

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PHOTO MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR / INFOGRAPHI­E LE DEVOIR SELON DES DONNÉES DE STATISTIQU­ES CANADA Notre appétit collectif pour les VUS et pour l’auto solo contribue encore aujourd’hui à la croissance de notre consommati­on de produits pétroliers raffinés.

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