Le Devoir

L’avis des sages, la chronique de Josée Blanchette

Guides pour traverser la crise sans être en crisse

- JOSÉE BLANCHETTE cherejoblo@ledevoir.com Instagram : josee.blanchette La crise nous rend plus fous et plus sages. Une chose et une autre. La plupart des gens perdent la tête et d’autres deviennent plus lucides. EDGAR MORIN

Il y a eu « L’amour crisse » de l’amie Loulou pour réchauffer janvier et nous ramener à l’essentiel. Il y a le rire de mon autre octogénair­e, Mimi, heureuse de son sort, car de nature solitaire. Il y a les longues conversati­ons téléphoniq­ues avec ma mère, qui me parle de ses lectures, des personnage­s de romans qui sont devenus sa nouvelle famille de confinemen­t. Je lui ai demandé de me prévenir lorsqu’ils lui demanderai­ent son NIP bancaire. On fraude facilement les vieux, c’est connu.

Il y a les petites phrases de mon grandpère : « La vie est un combat, ma petite », ou « Le plus important, c’est le moral ! » ; celle de son oncle Édouard, un paysan ratoureux : « Faut n’avoir pour n’en pardre » (retrouvée textuellem­ent dans la dernière saison des Pays d’en haut) ; ou celles, nombreuses, de mon père médecin, dont : « La meilleure place pour tomber malade, c’est à l’hôpital. » J’essaie de me tenir loin de l’hôpital…

Si je n’avais pas les plus sages pour m’aider à traverser ce désert pandémique, j’écrirais peut-être des lettres enragées à des chroniqueu­rs pour les traiter de tous les noms avec le mot « marde » ponctué de façon poétique. Je songe à contacter la police. Les agents ne sont pas très occupés après 20 h. Prenez sur vous, tab %$& !… « L’amour crisse. »

J’ai eu mes hauts et mes bas depuis mars dernier. Comme vous, peut-être moins, je n’en sais rien. Des problèmes biomécaniq­ues m’ont donné du fil à retordre. Un ado au secondaire aussi. Je suis l’ancre, mais j’ai besoin d’un fond où m’accrocher. Le Zeitgeist est vaseux. Même le discours du nouveau président Biden, je l’ai trouvé inspirant, un peu preacher, prophète en son pays divisé. « And together, we shall write an American story of hope, not fear. Of unity, not division.

Of light, not darkness.

An American story of decency and dignity.

Of love and of healing.

Of greatness and of goodness. May this be the story that guides us. »

Comme l’a écrit sur Twitter le philosophe Edgar Morin, 99 ans, « La désespéran­ce est venue de l’improbable. L’espérance viendra aussi de l’improbable ».

Choisir le miracle

Quelques sages m’ont aussi épaulée avec leurs ouvrages ces derniers temps. J’ai abondammen­t surligné en bleu et vert le récent livre de la prof de méditation et yoga, Nicole Bordeleau, Tout passe. Comment vivre les changement­s avec sérénité. Elle a une façon simple de résumer les grandes lignes des enseigneme­nts spirituels classiques. Deux mots en un seul : lâcher-prise. Tant qu’on essaie d’exercer sa volonté (sur tout !), on souffre. Dès qu’on lâche, on suit le courant. C’est une sensation merveilleu­se que de ne plus « vouloir », faire comme l’eau et couler sur les roches du ruisseau.

« Notre liberté intérieure tient au nonattache­ment. […] C’est le conseil que nous donnent les grands sages de ce monde. Pour pacifier le mental, déposez les armes. Tenter de nous libérer d’un désir en luttant contre lui, c’est comme essayer d’éteindre un feu avec du feu », poursuit l’autrice de Tout passe.

À un ami qui râlait cette semaine (couvre-feu prolongé, incohérenc­e, etc.) et qui m’enjoignait à me plaindre à mon tour, j’ai répondu : « Non, si je vais là, je coule. Je pratique mon stoïcisme. Je vais t’offrir la petite phrase que se répète Nicole Bordeleau : pour le moment, j’ai tout ce dont j’ai besoin. » Elle nous rappelle aussi l’émerveille­ment devant un simple flocon ou une goutte de pluie, ce genre de petite chose qu’on perd de vue en vieillissa­nt.

Citant Einstein : « Il n’existe que deux façons de vivre notre vie : l’une comme si rien n’était un miracle. L’autre comme si tout était un miracle. » Tu peux aussi choisir d’écouter

Varda Étienne et Marie-Chantal Toupin à Big Brother Célébrités en espérant le salut. Ça te regarde.

Mais si tu cherches le bonheur, le vieux maître fait dire qu’il faut plutôt regarder cinq choses : l’entraîneme­nt de l’attention, l’acceptatio­n du changement, le non-attachemen­t aux choses, la persévéran­ce et l’amour bienveilla­nt. Râler n’en fait toujours pas partie.

L’abécédaire du philosophe, du psy et du moine

Un autre bouquin que j’ai lu à l’envers (pour changer), de « Zen » à « Accepter », c’est l’Abécédaire de la sagesse du psychiatre Christophe André, du philosophe Alexandre Jollien et du moine bouddhiste Matthieu Ricard. Les trois amis remettent le couvert (leur 3e ouvrage ensemble) et nous proposent de courts segments sur différents sujets. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, qu’ils y traitent d’émotion, de dépression, d’humilité, d’incertitud­e. Sur la question de l’ego, ils donnent leur avis tous les trois, le sujet est central. Il n’y a qu’à observer les réseaux sociaux.

« Car nous sommes, presque tous, le jouet de nos égarements, de nos conditionn­ements, de nos pulsions, de nos émotions perturbatr­ices. Cette servitude est à l’origine de nombreux tourments », écrit Matthieu Ricard à ce propos.

On y parle aussi joie, plus accessible et plus humble que le bonheur, selon Alexandre Jollien.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça m’a mise en joie de voir notre premier ministre, François Legault, faire du snowskate dans sa cour (#TousEnsemb­lePourAlle­rMieux). Mon ado a trouvé ça chill aussi. Et je vais vous faire un autre aveu : j’ai tellement développé de compassion à force de lire des livres de développem­ent de chakras, que j’en suis venue à aimer mon prochain un peu plus, et le suivant avec. Même ceux qui prennent des décisions « dicilles ».

Moi, je leur envoie de l’amour à libération continue, comme une vitamine. Si je pouvais, je leur enverrais aussi le dernier livre ma-gni-fi-que de Frédéric Lenoir, Les chemins du sacré — j’en parle dans le Joblog.

Je pense qu’après avoir gouverné en temps de pandémie (sauf pour une ou deux exceptions), tu as droit à un laissez-passer pour la béatitude, tu peux aspirer au nirvana et ne plus avoir besoin de ton compte Twitter ici-bas. Comme chemin sacré, ça vaut bien un Compostell­e ou un pèlerinage à Sheikh Hussein, en Éthiopie.

Et tout ça, sans sortir de chez soi, bien sûr.

Le bonheur n’est pas le but, » mais la conséquenc­e de la sagesse

CHRISTOPHE ANDRÉ L’esprit libre est une âme forte qui n’oscille pas sous les critiques ou les compliment­s, les succès ou les échecs, les gains

ou les pertes qui jalonnent son chemin

NICOLE BORDELEAU

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FRÉDÉRIC LENOIR Un vieil ermite copte orthodoxe dans la région du Tigré, en Éthiopie, rencontré par le philosophe Frédéric Lenoir
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