Le Devoir

Les Québécois pas si enclins au dépistage

La banalisati­on des risques associés à la COVID-19 semble s’installer dans la population, selon des données de l’INSPQ

- ISABELLE PARÉ

Pas moins de 41 % des Québécois qui ont éprouvé des symptômes de la COVID ou grippaux, ou qui ont côtoyé une personne infectée au cours du dernier mois, n’ont pas jugé bon d’aller se faire dépister, révèle une enquête de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Il s’agit d’une donnée inédite, puisque les chercheurs avaient plutôt sondé jusqu’ici l’intention des personnes interrogée­s, et non leur comporteme­nt réel.

Un coup de sonde, réalisé entre les 8 et 20 janvier auprès de 6000 personnes sur leurs attitudes et comporteme­nts à l’égard de la COVID, démontre que parmi ceux qui ont souffert de symptômes grippaux ou de la COVID, ou qui ont été en contact avec une personne infectée, quatre sur dix n’ont pas pris la peine de se faire tester.

« On avait d’abord avancé l’hypothèse que c’était par crainte de représaill­es ou d’avoir une amende », explique Ève Dubé, anthropolo­gue à l’INSPQ, responsabl­e des enquêtes sur les attitudes et comporteme­nts à l’égard de la COVID. « Mais en fait, la première raison invoquée est que ce n’était pas nécessaire, ou parce que les symptômes avaient passé », ajoute-t-elle.

L’INSPQ entend pousser plus loin son enquête pour faire la lumière sur les raisons de ce désengagem­ent massif et sur le profil de cette frange de la population, réfractair­e au dépistage.

Selon Mme Dubé, après 10 mois de pandémie, une banalisati­on de l’importance du dépistage et du risque engendré par la COVID semble s’être installée dans la population.

Ces nouvelles données font bondir Kim Lavoie, professeur­e en psychologi­e à l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine comporteme­ntale, qui scrute depuis le début de la pandémie l’adhésion de la population aux diverses mesures sanitaires.

« Vous imaginez ce que ça veut dire si 41 % des gens possibleme­nt infectés ne sont pas dépistés ? Ça veut dire que le nombre de cas est très largement sousestimé. Or, avec l’arrivée de variants beaucoup plus contagieux, notre capacité à tester et à isoler rapidement les gens va devenir encore plus cruciale », insiste-t-elle.

La chercheuse, associée aux travaux de l’enquête internatio­nale Icare (Internatio­nal Assessment of COVID-19 Related Attitudes, Concerns, Responses and Impacts in Relation to Public Health Policies), n’est toutefois pas vraiment surprise de ces résultats.

Cette enquête, qui a rejoint 60 000 répondants à travers le monde, révèle que 13 % des répondants se sachant infectés ne

se placent pas en isolement. « C’est plus d’une personne sur dix qui se promène dans les rues ou les commerces en risquant d’infecter les autres », déplore-t-elle.

La même enquête a aussi démontré que 12 à 13 % des voyageurs qui rentrent au pays brisent leur quarantain­e, une mesure altruiste visant essentiell­ement à protéger les autres.

Approche coercitive

« Toutes ces failles peuvent faire en sorte que ce que nous vivons pourrait durer encore longtemps », pense Kim Lavoie. « On n’a plus le luxe du temps, et de demander aux gens d’être solidaires. Il faut être plus coercitifs », croit cette psychologu­e qui affirme que l’adhésion aux mesures sanitaires dépend du bénéfice que les gens croient en tirer… ou des sanctions possibles. « Les gens soupèsent l’effort que ça leur demande, versus le bénéfice qu’ils en retirent. »

Pour cette raison, l’adhésion au port du masque, devenu obligatoir­e, est en constante progressio­n. Adopté par seulement 22 % de la population en avril, puis 32 % en juin, le port du masque a été adopté maintenant par 91 % de la population canadienne, affirme Kim Lavoie.

« Le masque est en voie de devenir une nouvelle norme sociale, car contrairem­ent à la privation de contacts sociaux, ça demande peu d’efforts. Plus un comporteme­nt est adopté, plus la pression sociale s’accentue sur ceux qui n’y adhèrent pas », explique-t-elle.

C’est aussi ce qu’observe une étude longitudin­ale réalisée par Roxane de la Sablonnièr­e, chercheuse et directrice du Laboratoir­e sur les changement­s sociaux et l’identité (LCI) de l’Université de Montréal, qui depuis avril a sondé à 10 reprises les mêmes 3000 personnes. Elle constate une progressio­n constante de l’adhésion au masque parmi ceux qui y étaient au départ moyennemen­t favorables. Trois groupes se distinguen­t : les « super adhérents » au masque (32 %), plutôt stables, les plutôt favorables (50 %), en forte progressio­n, et les récalcitra­nts (17 %), dont le taux reste inchangé.

« Le masque, c’est une mesure est claire, alors que l’interdicti­on de rassemblem­ent a constammen­t changé. Pour certains, on croit aussi que le port du masque permet en fait de contourner les limites imposées aux contacts sociaux », explique la chercheuse.

L’étude Icare note d’ailleurs un recul constant de l’adhésion aux deux mètres de distance (60 %) et au lavage des mains (70 %). Le respect des limites aux rassemblem­ents « la plupart du temps » a même plongé, et est passé de 90 % en avril à moins de 35 % en décembre dernier.

Pour Kim Lavoie, le ressac actuel des cas observé au Québec ne devrait pas être une raison pour relâcher les mesures sanitaires, la province étant toujours parmi les territoire­s les plus endeuillés au monde en proportion de sa population.

Toutes ces failles peuvent faire en sorte que ce que nous vivons pourrait durer »

encore longtemps KIM LAVOIE

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