Une nation bien ordinaire
La compassion de la CAQ devient moins spontanée quand il s’agit de citoyens pas tout à fait « moyens »
Ainsi, il aura fallu le jugement d’un tribunal pour que le gouvernement Legault comprenne que des personnes sans domicile fixe ne doivent pas faire l’objet d’interpellations ni de contraventions faute de se trouver à leur adresse à 22 ou 23 h sous un régime de couvre-feu. Cela semblait une évidence, mais sait-on jamais. On observera à cet égard combien les politiques de droits de la personne, si souvent dévaluées et même discréditées par de nombreux partisans et maîtres à penser de ce gouvernement et de ses politiques d’affirmation nationale, prennent ici tout leur sens.
Pendant un moment, ce gouvernement qui a décrété, dans une de ses lois phares, que « la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique » aura paru une fois de plus faire valoir la « distinction » québécoise : le Québec n’aura pas été l’Ontario, à qui il avait suffi d’une phrase de son règlement pour en exempter les itinérants. Mais non, contre le cas par cas ou les exceptions humanitaires, il fallait imposer coûte que coûte le règlement sur mesure.
« C’est comme ça qu’on vit au Québec » : cette phrase du premier ministre adressée à la nation dans un tout autre contexte acquiert ainsi un puissant relief. L’autrice Josiane Cossette a savoureusement mis cela sur le compte d’un « gouvernement de banlieue » ; on pourrait plus largede ment parler d’un « gouvernement de la nation ordinaire », un adjectif que j’emprunte à l’essai remarqué de Mathieu Belisle, Bienvenue au pays de la vie ordinaire.
La nation ordinaire de la CAQ n’est pas méchante, ni intolérante, ni raciste, on y fait valoir la convivialité et souvent même la compassion, un mot plein de bonté et bienveillance dans la bouche du premier ministre, et riche de tout un héritage canadien-français. Seulement, cette compassion a des degrés, elle devient moins spontanée et un peu moins bienveillante quand il s’agit de citoyens ou d’aspirants citoyens pas tout à fait « moyens » ou « ordinaires ». Il ne faut pas exagérer dans la compassion : c’est aller un peu vite que de l’étendre à des personnes étranges et délabrées qui traînent dans la rue ou à des laveuses de planchers venues d’ailleurs pour aider dans les CHLSD — et c’est bien regrettable si elles échappent aux normes nécessaires à l’imposition d’un couvre-feu ou à l’obtention d’un statut de résidentes. Non, ce n’est pas vraiment de la méchanceté, c’est juste cette même « insensibilité » avec
Non, ce n’est pas vraiment de la méchanceté, c’est juste cette même « insensibilité » avec laquelle on a vu plusieurs politiques du ministre Jolin-Barrette concernant les immigrants et les étudiants étrangers
laquelle on a vu plusieurs politiques du ministre Jolin-Barrette concernant les immigrants et les étudiants étrangers.
Le plus heureux, au bout du compte, dans cette affaire concernant les itinérants, c’est que le gouvernement Legault se trouve enfin obligé (mais il ne l’avouera pas) de comprendre le sens du mot « systémique ». Car ce règlement de couvre-feu, qui traitait également tous les citoyens, n’était-il pas un exemple parfait de discrimination systémique ? Le règlement lui-même incitait au profilage, sans que l’on présume de la méchanceté du policier impliqué. Mais qu’importe ? Règlement ou pas, vagabonder dans les rues tard le soir, c’est louche, et porter un capuchon n’arrange rien. Les Québécois ordinaires ne font pas ça.