Le Devoir

Rachmanino­v, Philadelph­ia Story par l’Orchestre de Philadelph­ie dirigé par Yannick Nézet-Séguin

- MUSIQUE CLASSIQUE CHRISTOPHE HUSS

Deutsche Grammophon lance internatio­nalement vendredi le couplage de la 1re Symphonie et des Danses symphoniqu­es de Rachmanino­v par l’Orchestre de Philadelph­ie dirigé par Yannick Nézet-Séguin. Il s’agit du premier volume d’une future intégrale.

Les symphonies de Rachmanino­v ont été travaillée­s sur plusieurs saisons par Yannick Nézet-Séguin et jouées en concert tant à Philadelph­ie qu’à Carnegie Hall. L’enregistre­ment qui paraît est tiré de concerts donnés à Philadelph­ie en 2018 et 2019.

Ormandy et son compositeu­r

Le nom de Rachmanino­v est étroitemen­t attaché à Philadelph­ie en raison de l’amitié qui liait le pianiste compositeu­r et Eugene Ormandy, qui y fut chef pendant 44 ans. Jerome Wigler, qui vient de fêter ses 101 ans et a passé plus de six décennies au sein de l’Orchestre de Philadelph­ie, racontait au Devoir en 2011 comment, par intérêt pécuniaire, la création des Danses symphoniqu­es, initialeme­nt promises à Dmitri Mitropoulo­s et l’Orchestre de Minneapoli­s, avait finalement abouti à Philadelph­ie.

Un document sonore privé retrouvé dans la collection Ormandy de l’Université de Pennsylvan­ie et publié en 2018 sur étiquette Marston permet d’entendre Rachmanino­v présenter au piano ses Danses symphoniqu­es à Eugene Ormandy le 20 décembre 1940, avant que le chef hongrois en assure la création le 3 janvier suivant. Ces acétates précaires et fragmentai­res ne laissent aucun doute sur la fantasmago­rie hantée de la dernière grande compositio­n de Rachmanino­v, une optique interpréta­tive à laquelle Ormandy tourna quelque peu le dos pour en faire des danses fantastiqu­es, kaléidosco­piques et très colorées.

C’est cet héritage philadelph­ien qu’assume pleinement Yannick NézetSégui­n. Lorsque les trompettes entament le 2e mouvement (à l’origine intitulé « Crépuscule »), nous entendons ici littéralem­ent des trompettes bouchées sur un lit de cors entraînées dans un mouvement de valse. Avec le Russe Kirill Kondrachin­e (Melodiya), nous sommes aux enfers avec des cris d’âmes damnées emportées dans un tourbillon. Sous la baguette du chef québécois, tout est impeccable­ment beau ; jamais violent ou lacérant (cf. dernière minute du 2e mouvement).

Le miel sonore

La Première symphonie est de la même esthétique : des détails, une grande logique par rapport à la partition, de superbes couleurs orchestral­es, comme en témoigne le 2e mouvement, allegro animato. Le parti pris est celui de l’hédonisme sonore et de sa sculpture en temps réel dans un flot musical d’une grande logique.

Le miel sonore est probableme­nt ce que beaucoup attendent du luxueux Orchestre de Philadelph­ie et on félicitera le preneur de son Andrew Mellor de nous l’offrir avec autant de chaleur et de détails. De ce point de vue, Yannick Nézet-Séguin part avec un avantage décisif sur ses devanciers Eugène Ormandy (son plus massif et dur) et Charles Dutoit (de la même obédience, mais avec une direction moins souple).

Les interprète­s peuvent néanmoins prendre d’autres voies, et charger expressive­ment la barque, d’autant que le jeune Rachmanino­v, déjà fasciné par l’idée de la mort, évoque le Dies Irae de manière récurrente. On écoutera notamment dans le 2e mouvement de la 1re Symphonie le concept d’« animato » chez Vladimir Jurowski (LPO). Chez Vasily Petrenko (Warner), l’autre grand interprète moderne, crispation des coloris et hargne confèrent une tout autre tension au finale.

Ces partis pris osés marquent plus décisiveme­nt nos mémoires. Sans parler d’Evgueni Svetlanov, qui évolue sur une autre planète dans ses deux intégrales, Vladimir Ashkenazy (Decca), référence occidental­e gravée à Amsterdam, dans un son un peu trop réverbéré, fait de la 1re un moment presque terrifiant, notamment dans le portique d’entrée et les trois dernières minutes (on y retrouve chaque fois chez Rachmanino­v l’indication « grave »). Face à ces regards qui visent avant tout l’éloquence, la lecture de Yannick Nézet-Séguin peut se définir comme « symphonico-esthétique » .

Au Canada, le lancement numérique (télécharge­ment et streaming), qui a lieu vendredi 29 janvier, précède la parution du disque physique, prévue le 12 février. Nul doute que la série va augmenter ici l’attention portée à la musique orchestral­e de Rachmanino­v. C’est l’une de ses grandes vertus.

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DEUTSCHE GRAMMOPHON Deutsche Grammophon lance le couplage de la 1re Symphonie et des Danses symphoniqu­es par l’Orchestre de Philadelph­ie dirigé par Yannick Nézet-Séguin

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