La domination de la littérature
Selon les statistiques, la tendance est claire : c’est ce qui continue à être publié sur papier et à progresser au Québec
C’est une loi au Québec : « tout éditeur québécois qui publie un document est tenu d’en déposer, à chaque édition, deux exemplaires dans les sept jours suivant sa publication auprès de Bibliothèques et archives nationales du Québec (BAnQ). C’est ce qu’on appelle le dépôt légal. » Sont tirées de ces livres déposés Les statistiques de l’édition au Québec, qui catégorisent et comptabilisent la production — pas la vente — de bouquins. Des chiffres qui permettent tardivement (l’édition 2018 vient de sortir) d’avoir une idée du mouvement des plaques tectoniques du monde de l’édition. Que s’est-il passé il y a deux ans ? Les tendances et inclinaisons notées en 2017 se poursuivaient, résume Pascale Messier, bibliothécaire à la Direction du dépôt légal et de la conservation des collections patrimoniales.
L’édition de livres de sciences sociales continuait donc en 2018 de se faire plus rare. Les manuels scolaires étaient toujours en baisse. La littérature constituait toujours, et de plus en plus, la part du lion de la production. Et le prix des livres continuait sa baisse de la dernière décennie. Autant de mouvements déjà décelés dans le portrait 2017.
Mais « je dirais qu’il faut attirer aussi l’attention sur ce qui ne change pas », note en contrepoint le sociologue de la littérature Anthony Glinoer. « On en parle peu et pourtant, il est par exemple remarquable que le prix du livre numérique déposé à BAnQ n’ait pratiquement pas changé depuis 2009. Ce qui veut dire que les prix proposés par les géants comme Amazon au lancement des liseuses se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui. » Le professeur à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’histoire de l’édition et la sociologie du littéraire poursuit. « Stable aussi, la proportion de titres publiés en français par rapport à l’anglais. Le français tend même à progresser », avec 87,4 % de la production, comparativement à 85,6 % en 2009.
Promesses non tenues
Pour M. Glinoer, ce qui ne suit pas la courbe attendue est aussi digne d’intérêt. « Si le nombre de titres imprimés [dans l’édition commerciale et en général] continue de baisser [20 % depuis 2009], le numérique n’a pas comblé le vide [augmentation de 13 % pour la même période]. Après une hausse marquée entre 2009 et 2014, la tendance est à la baisse pendant deux ans, puis à la stagnation », dit-il, tout en rappelant qu’il faut faire preuve de la grande prudence avec ces statistiqueslà du dépôt légal.
« Le caractère volontaire du dépôt numérique, rappelle-t-il, la transition vers des publications sur des sites Internet non déposées, le développement de l’autoédition et de l’autopublication, tout cela pèse sur les chiffres de production, de tirage, de prix, etc. » Car l’autoédition se maintient, avec un peu plus de titres d’un peu moins d’auteurs. Des auteurs qui, dans cette catégorie, semblent privilégier le papier (bien qu’il faille user de réserve pour l’utilisation des données sur les livres numériques). 668 éditeurs individus ont ainsi fait naître 962 titres en 2018, contre 871 titres l’an dernier pour 675 éditeurs-individus. En édition commerciale, 5771 titres étaient publiés en 2018 ; en 2009, en étaient nés 6976.
Et c’est l’hégémonie de la littérature qui frappe, couvrant 42 % de l’ensemble des titres. Car ce ne sont pas seulement les sciences sociales qui voient leur production diminuer, mais pratiquement toutes les autres catégories. « Depuis 2014, la chute n’est pas plus brutale pour les sciences sociales que pour le reste. La tendance est claire : ce qui continue à être publié sur papier, c’est la littérature et celle-ci est en progrès quantitatif, relativement et en valeur absolue, au Québec. » En 2009, la littérature dominait déjà, mais avec 28 % des livres produits.