Le Devoir

Joseph Drouhin, l’intégrité d’une grande maison de Bourgogne

- BILLET VINS JEAN AUBRY COLLABORAT­EUR

« La Gestapo frappe à la porte de la maison en juin 1944 alors que nous sommes tous au lit. Les soldats gardent les quatre sorties, ignorant qu’il existe une 5e issue. Mon père a rapidement le réflexe de venir dans notre chambre nous dire qu’il est en voyage d’affaires », me racontait la semaine dernière Laurent Drouhin, directeur export Amériques, de ses bureaux new-yorkais.

« La démarche est habile, car qui se douterait, venant de la bouche d’un enfant tout juste tiré de son sommeil, qu’il ne dit pas la vérité ? Mon père en profite alors pour s’éclipser par cette porte secrète aujourd’hui baptisée la porte de la liberté ! »

Son père, Robert, se réfugiera alors aux hospices chez les Soeurs hospitaliè­res où il demeurera caché jusqu’en septembre 1944 et où « il fera don en 1947 de 2,6 hectares de vignes aux nonnes à titre de reconnaiss­ance ».

L’histoire n’est pas banale. Elle sert aussi d’ancrage historique dans ce qui constitue justement ces grandes maisons bourguigno­nnes, des ambassadri­ces de choix pour explorer la pléthore de lieux-dits et de climats qui tissent la courtepoin­te du merveilleu­x terroir local. En fonction d’achats de raisins, d’activités de négoce ou d’une production issue de leurs propres parcelles, ces grandes maisons, souvent familiales, contribuen­t à réguler le marché en fonction de volumes mais aussi de prix souvent attrayants pour le consommate­ur. Des « phares » utiles pour celuici, auxquels il peut se fier en fonction de réputation­s bien établies.

Les Champy, Chanson, Jadot, Latour, Faiveley, Bichot, Bouchard Père & Fils et Joseph Drouhin, pour n’en nommer que quelques-unes, sont de ce nombre. Par leur style, mais surtout en fonction de la régularité qualitativ­e de leur offre, elles sont à même d’alimenter un marché en croissance toujours de plus en plus exigeant. C’est bien pourquoi je m’attriste un peu du fait qu’une nouvelle génération de sommeliers s’emploie à bouder, voire à dénigrer ces « institutio­ns » qui ont tout de même fait (et font toujours) rayonner la Grande Bourgogne aux quatre coins ronds de la planète vin. Petits vignerons indépendan­ts et « grosses » maisons ne sont-ils pas complément­aires, après tout ? Enfin…

Pour ma part, j’ai toujours été particuliè­rement sensible à la démarche de la maison Joseph Drouhin, qui célèbre d’ailleurs, en 2021, l’acquisitio­n par feu Maurice Drouhin de la toute première parcelle du 1er cru Clos des Mouches en Côtes de Beaune en 1921, dans la foulée de Joseph qui, lui, fondait la maison à Beaune en 1880, remontant à l’époque de son coin de pays chablisien.

Une maison intègre qui souligne toujours avec élégance et finesse le fruit de ses 84 hectares de vignobles répartis sur quelque 90 appellatio­ns, sans compter les deux domaines en Oregon. Aujourd’hui, Véronique, Philippe, Laurent et Frédéric poursuiven­t l’aventure avec toute la rigueur et la discrétion de leur père Robert et du papy Maurice.

Le Clos des Mouches

Les « mouches à miel ». Voilà déjà qui souligne ce climat « mythique » totalisant aujourd’hui 25,2 hectares appartenan­t à 6 propriétai­res (pour 43 en 1892, dont les Demoisy-Aubry) et qui, historique­ment, étaient couverts d’arbres fruitiers et de leurs fidèles pollinisat­rices, les abeilles, d’où ce jargon beaunois de… mouches à miel. « La famille dispose ici de 14 hectares, dont 6,82 ha en blanc, sur une légère pente convexe parfaiteme­nt exposée jouxtant le 1er Cru Les Saussilles du côté de Pommard. L’ensemble est en bio depuis 1990 et aujourd’hui géré en biodynamie par Jérôme Faure-Brac ». Une vinificati­on en tous points précise et inspirée.

Les cuvées en rouge et en blanc sont du même niveau qualitatif, avec une préférence personnell­e pour le chardonnay. « Il faut savoir qu’en 1928, raisins rouges et blancs étaient ramassés ensemble sans distinctio­n, histoire « d’adoucir » la verdeur des tanins des pinots », fait remarquer Laurent.

Aujourd’hui, ce climat disponible au Québec depuis le milieu des années 1950 ne m’a-t-il jamais semblé aussi brillant dans les deux couleurs, comme en témoignent les échantillo­ns dégustés et qui arriveront en tablettes prochainem­ent. Style et raffinemen­t.

Clos des Mouches Blanc 2018 (215 $ – 13363943). « On retrouve la complexité et l’élégance d’un Bâtard-Montrachet combinées harmonieus­ement à la plénitude d’un Corton-Charlemagn­e », analyse la charmante Véronique Boss-Drouhin. Ce blanc, encore très jeune, s’ouvre déjà sur des notes fines de tilleul miel tout en déclinant une bouche sensible, suave, finement tendue, de longue haleine. (10+)★★★★ 1/2 ©

Clos des Mouches Rouge 2018 (169 $ – 13368103). Déjà suggestif, bien que juvénile. Arôme fascinant de cerise, de boisé fin et bouche rondement étoffée, d’une sève riche, fraîche, longue, soutenue, liée à merveille. Quelle classe ! (10+) ★★★★ 1/2 ©

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