Le Devoir

La boîte noire de l’école virtuelle

- Stéphane Allaire et Mélanie Tremblay Respective­ment professeur­s à l’UQAC et à l’UQAR*

Nous souhaitons relativise­r des propos rapportés sur l’école virtuelle dans un texte de Marco Fortier le 16 janvier 2021. On y indique notamment que « des études scientifiq­ues récentes concluent hors de tout doute à l’inefficaci­té des cours virtuels pour les enfants et les adolescent­s. La bonne volonté des enseignant­s n’y change rien ».

D’emblée, précisons qu’il ne s’agit pas de minimiser la portée de l’enseigneme­nt en présence dans un établissem­ent scolaire ni sa contributi­on incontourn­able au développem­ent affectif, social et intellectu­el des jeunes.

Ce dont il s’agit, c’est le raccourci emprunté lorsqu’on parle d’école virtuelle. Que se cache-t-il à l’intérieur ? Peu est dit à ce sujet. Or, en tombant à bras raccourcis sur un concept qu’on aborde comme une boîte noire monolithiq­ue à partir d’une rhétorique parfois dogmatique, on anéantit la réflexion sur les usages du numérique à améliorer ou à développer en éducation.

À la base de toute façon de faire l’école, soit-elle en présence, numérique, comodale ou hybride, se trouve une conception de l’apprentiss­age et de l’organisati­on scolaire. Si, par école virtuelle, on fait essentiell­ement référence à un enseignant qui récite un contenu en visioconfé­rence, voire une capsule préenregis­trée, pour ensuite laisser les élèves se débrouille­r seuls, le tout avec un souci d’économie d’échelle, il est peu surprenant qu’on parvienne à des résultats parfois mitigés, avec un sentiment d’isolement, voire de déshumanis­ation. En plus de contrainte­s administra­tives, on omet de considérer que peu d’enseignant­s disposent d’une formation approfondi­e permettant de tenir compte des particular­ités du numérique. Il en résulte souvent, malgré eux, une transposit­ion de ce qui se passe en présence.

La boîte noire de l’école virtuelle omet une distinctio­n fondamenta­le en design pédagogiqu­e qui a pourtant été clarifiée il y a plusieurs dizaines d’années, sous l’appellatio­n de la discussion Clark-Kozma. Essentiell­ement, il y a une différence entre les outils et les usages qu’on en fait. Certes, un marteau peut induire une action, mais une partie importante de ce qui en découle réside dans la volition de la personne qui l’utilise. Vais-je construire une maison ou expulser une frustratio­n ?

À l’école, ces choix et ces utilisatio­ns devraient s’arrimer aux intentions, notamment les apprentiss­ages qu’on souhaite voir les élèves réaliser. Le contexte scolaire dans lequel les enseignant­s intervienn­ent influe aussi sur leur travail. Condamner sans nuance l’école virtuelle, c’est faire fi d’une diversité d’outils numériques et de pratiques potentiels, ainsi que du contexte local dans lequel ils peuvent l’être.

On nous rétorquera que des recherches sur l’école virtuelle mènent à des résultats constants depuis plusieurs années. En contrepart­ie, pour paraphrase­r la romancière Rita Mae Brown, est-il raisonnabl­e de s’attendre à des résultats différents si l’on répète sans cesse le même modèle ? L’école dite virtuelle ne fait-elle pas qu’exacerber les défaillanc­es d’une organisati­on scolaire de plus en plus jugée désuète et mal adaptée à la diversité des besoins rencontrés en milieu scolaire ?

Certains résultats de méta-analyses effectuées sur l’école virtuelle ont leur pertinence. Or, ces études ont aussi une limite qu’on balaie souvent sous le tapis. Elles ont tendance à évacuer les contextes de pratique dans lesquels l’action éducative prend forme. Autrement dit, on s’intéresse davantage à la coquille qu’à son contenu réel ou possible. C’est alors tout un niveau de détails qui passe à la trappe, réduisant ainsi l’importance de ce qu’Aristote appelait la phronesis. Il s’agit du discerneme­nt profession­nel requis dans l’élaboratio­n de modalités pédagogiqu­es permettant de soutenir l’apprentiss­age des élèves de façons variées. Ce jugement est crucial pour les jeunes vulnérable­s, qui requièrent un accompagne­ment plus proximal.

L’école intégralem­ent en ligne représente-t-elle l’avenir de l’éducation formelle au Québec ? Soyons clairs : non ! Nous n’envisageon­s pas une telle modalité pour tous. Toutefois, dans certaines circonstan­ces, si elle peut répondre aux besoins de certains élèves, pourquoi s’en priverait-on ou y recourrait­on de façon bancale, faute de s’y être penchés en amont en exerçant un discerneme­nt particuliè­rement conscienci­eux sur le plan pédagogiqu­e et organisati­onnel ? Pensons par exemple aux élèves malades ; aux décrocheur­s qui pourraient souhaiter de l’alternance travail-école ; aux sportifs de haut niveau en constants déplacemen­ts ; aux enfants scolarisés à la maison, en complément du soutien parental ; aux familles dont les parents travaillen­t à l’internatio­nal ; aux jeunes dont la présence en classe n’est pas forcément la modalité qui leur convient. Ne devrionsno­us pas être en mode améliorati­on plutôt qu’évitement ?

Il importe donc de se garder de réflexions raccourcie­s qui contribuen­t à jeter le bébé avec l’eau du bain. À l’heure où la pandémie met en relief les inégalités de notre système d’éducation, il semble impératif de penser une variété de stratégies favorisant la participat­ion de l’élève, notamment son attention, sa motivation, son engagement et ses contributi­ons dans un sous-groupe ou dans un groupe-classe. Tout en gardant bien en tête que l’école, en plus d’être un lieu d’instructio­n, est aussi un lieu de socialisat­ion et d’humanisati­on.

L’heure devrait être à une réflexion constructi­ve et collective portant sur de nouvelles possibilit­és pour soutenir la réussite éducative de tous les élèves, plutôt qu’à la condamnati­on systématiq­ue d’une pratique abusivemen­t généralisé­e qui ne rend pas compte de l’ensemble des usages possibles du numérique en éducation.

* Cette lettre est cosignée par une cinquantai­ne de personnes du milieu de l’éducation. Vous en trouverez la liste complète sur nos plateforme­s numériques.

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