La saga du «saccage» d’un boisé s’envenime
La Ville se tournera vers les tribunaux après l’abattage d’arbres « sans permis » par le promoteur immobilier GBD Construction
La Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac s’apprête à entamer des actions en justice contre un promoteur immobilier qui a procédé à d’importants travaux de déboisements qu’elle juge illégaux au centre-ville pendant le temps des Fêtes.
Aux abords de la piste cyclable, à l’intersection du boulevard des Promenades et du chemin d’Oka, une pancarte annonce le futur projet domiciliaire du promoteur Gestion Benoît Dumoulin (GBD Construction). Au sol, des centaines de troncs d’arbres. C’est tout ce qu’il reste de ce qui était, jusqu’à tout récemment, un boisé urbain. « C’est un véritable carnage », dénonce Sylvie Clermont, présidente du Regroupement écocitoyen de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. « On a compté les arbres : à vue d’oeil, il y en a au moins 1400 », ajoute la viceprésidente, Guylaine Thibodeau.
Le 19 décembre dernier, des citoyens ont vu des travailleurs couper des arbres dans le boisé et ont alerté la Ville, qui a envoyé des policiers pour faire arrêter les travaux. Quelques jours plus tard, le 23 décembre, des travailleurs sont revenus avec de la machinerie lourde, au grand dam de la Ville, qui a multiplié les recours pour préserver le boisé.
« En dépit des interventions des policiers, de la direction générale et du Service de l’urbanisme, malgré l’envoi de plusieurs mises en demeure et de deux ordres de cesser les travaux, [l’entrepreneur] GBD et ses sous-traitants ont poursuivi, à toute vitesse, l’abattage d’arbres sans permis le 23 décembre dernier », écrit la mairesse, Sonia Paulus, dans un communiqué de presse publié la veille de Noël.
« Le but évident de cette manoeuvre déplorable était de créer un effet de surprise en profitant du congé des Fêtes et des restrictions gouvernementales liées à la pandémie afin de placer tous les intervenants devant le fait accompli de la destruction, en quelques heures à peine, d’un boisé et d’une zone humide », poursuit la mairesse.
Ce boisé fait l’objet d’une mobilisation citoyenne visant à le protéger depuis plusieurs mois déjà, explique Sylvie Clermont, du Regroupement écocitoyen. « Ça fait partie d’un corridor vert. Les boisés urbains disparaissent à grande vitesse dans le secteur et celui-ci était très apprécié des citoyens. »
La réplique du promoteur
Ce terrain est la propriété du promoteur GBD Construction, qui réfute les allégations de coupes illégales. Celui-ci estime qu’il était dans son plein droit de couper les arbres et accuse la Ville de revenir sur sa parole. « Le promoteur avait l’autorisation verbale du directeur général et de la mairesse dès 2019 », affirme Patrick Howe, porteparole de GBD Construction.
Il soutient que le projet de construction d’appartements en copropriété sur ce terrain était approuvé par la Ville depuis longtemps et que « la question des arbres avait déjà été discutée à plusieurs reprises ». Une entente avait même été signée devant notaire entre le promoteur et la municipalité en 2018 officialisant un échange de terrains. « À partir de ce moment-là, la seule responsabilité du promoteur était d’aller chercher l’autorisation du ministère de l’Environnement pour faire les remblais du secteur. » Le promoteur a obtenu cette autorisation en 2019. « Ce qui était convenu, c’est que dès que cette autorisation était accordée, il pouvait procéder aux travaux. »
« On est très surpris de la réaction de la municipalité qui semble revenir sur sa parole et sur un contrat notarié, ajoute M. Howe. On s’explique mal la volteface apparente de la municipalité. »
Selon la séquence des événements évoquée par GBD Construction, un policier serait intervenu lors des travaux préparatoires le 19 décembre pour demander que ceux-ci cessent, ce que le promoteur a contesté. Le 23 décembre, une mise en demeure a été acheminée par huissier, ce que GBD Construction a contesté à nouveau. « Le promoteur était persuadé qu’il avait raison, explique M. Howe. Finalement, le promoteur a arrêté les travaux, mais il se considère toujours [comme] en plein droit de les avoir réalisés. »
Pas la première fois
En entrevue au Devoir, la mairesse de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, Sonia Paulus, réfute qu’il y ait eu entente verbale et répète que l’acte notarié n’était qu’un échange de terrains qui ne donnait aucun droit d’abattage. « Il y a des permis [à demander], une marche à suivre, il le sait, ce n’est pas la première année qu’il fait du développement. »
Selon elle, le promoteur n’a jamais présenté officiellement de projet à la Ville. « Les seuls documents que nous possédons au Service de l’urbanisme sont des plans d’implantation préliminaires et ceux-ci ne répondent pas à la réglementation en vigueur », affirme Mme Paulus.
Le conseil municipal de Sainte-Marthesur-le-Lac a tenu une assemblée extraordinaire le 12 janvier pour faire le point sur ce dossier. Les conseillers ont ainsi adopté un nouveau règlement donnant des munitions aux fonctionnaires qui doivent intervenir lors d’une coupe jugée illégale et interdisant toute coupe à blanc dans les boisés du territoire. « Les mesures entourant l’abattage d’arbres doivent être plus strictes et mieux encadrées », ont affirmé les élus.
Ils ont également décidé de porter le dossier devant les tribunaux pour obliger le promoteur à replanter des arbres sur le terrain. « Nous allons dans un premier temps exiger qu’il reboise pour tout le saccage qui a été fait sans permis », a précisé la mairesse Sonia Paulus.
Selon la Ville, ce n’est pas la première fois que le promoteur GBD procède à des coupes sans permis. Selon
Les mesures entourant l’abattage d’arbres doivent être plus strictes et mieux encadrées
LES CONSEILLERS MUNICIPAUX DE SAINTE-MARTHE-SURLE-LAC
des documents obtenus par le Regroupement écocitoyen en vertu de la loi sur l’accès à l’information, et que Le Devoir a pu consulter, une dizaine de lots ont fait l’objet d’une « coupe à blanc non autorisée par la Ville » aux abords du ruisseau Perrier, dans le secteur des rues Annie et André, à Sainte-Marthe-sur-le-Lac.
« Ce qui a été coupé sur la rue André, ça a été le même petit stratagème, a dénoncé la mairesse Paulus lors de l’assemblée extraordinaire du 12 janvier. Ça a été fait lors d’une fin de semaine de trois jours du mois d’octobre. » Des avis d’infraction pour coupe illégale ont été délivrés, affirme la mairesse.
Dans ce cas aussi, le promoteur affirme qu’il n’a rien à se reprocher. S’il reconnaît qu’il n’avait pas en sa possession le papier autorisant la coupe d’arbres, il affirme que le chèque pour la demande de permis — d’une somme de 10 $ — a été encaissé par la Ville, ce qui constitue en soi une autorisation. « C’est 10 $ dans un projet de plusieurs millions, répond le porte-parole Patrick Howe. Tous les permis suivants ont été accordés et les travaux ont été lancés. »
Lors du dernier conseil municipal, certains élus ont déploré les coupes illégales, mais ont néanmoins affirmé ne pas accorder une grande valeur au boisé qui a été coupé, qui serait plutôt un terrain « laissé à l’abandon » où la nature a repris ses droits. Ces derniers aimeraient par ailleurs voir sur ce terrain une résidence pour aînés.
Mais l’épisode a laissé des séquelles dans la population, notent les élus. « Chaque fois qu’une machine s’installe quelque part, il y a une panique parce que les citoyens ne veulent pas revivre ce qu’ils ont vécu les 19 et 23 décembre », résume le conseiller indépendant François Robillard.