Le Devoir

La saga du «saccage» d’un boisé s’envenime

La Ville se tournera vers les tribunaux après l’abattage d’arbres « sans permis » par le promoteur immobilier GBD Constructi­on

- JESSICA NADEAU À SAINTE-MARTHE-SUR-LE-LAC

La Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac s’apprête à entamer des actions en justice contre un promoteur immobilier qui a procédé à d’importants travaux de déboisemen­ts qu’elle juge illégaux au centre-ville pendant le temps des Fêtes.

Aux abords de la piste cyclable, à l’intersecti­on du boulevard des Promenades et du chemin d’Oka, une pancarte annonce le futur projet domiciliai­re du promoteur Gestion Benoît Dumoulin (GBD Constructi­on). Au sol, des centaines de troncs d’arbres. C’est tout ce qu’il reste de ce qui était, jusqu’à tout récemment, un boisé urbain. « C’est un véritable carnage », dénonce Sylvie Clermont, présidente du Regroupeme­nt écocitoyen de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. « On a compté les arbres : à vue d’oeil, il y en a au moins 1400 », ajoute la viceprésid­ente, Guylaine Thibodeau.

Le 19 décembre dernier, des citoyens ont vu des travailleu­rs couper des arbres dans le boisé et ont alerté la Ville, qui a envoyé des policiers pour faire arrêter les travaux. Quelques jours plus tard, le 23 décembre, des travailleu­rs sont revenus avec de la machinerie lourde, au grand dam de la Ville, qui a multiplié les recours pour préserver le boisé.

« En dépit des interventi­ons des policiers, de la direction générale et du Service de l’urbanisme, malgré l’envoi de plusieurs mises en demeure et de deux ordres de cesser les travaux, [l’entreprene­ur] GBD et ses sous-traitants ont poursuivi, à toute vitesse, l’abattage d’arbres sans permis le 23 décembre dernier », écrit la mairesse, Sonia Paulus, dans un communiqué de presse publié la veille de Noël.

« Le but évident de cette manoeuvre déplorable était de créer un effet de surprise en profitant du congé des Fêtes et des restrictio­ns gouverneme­ntales liées à la pandémie afin de placer tous les intervenan­ts devant le fait accompli de la destructio­n, en quelques heures à peine, d’un boisé et d’une zone humide », poursuit la mairesse.

Ce boisé fait l’objet d’une mobilisati­on citoyenne visant à le protéger depuis plusieurs mois déjà, explique Sylvie Clermont, du Regroupeme­nt écocitoyen. « Ça fait partie d’un corridor vert. Les boisés urbains disparaiss­ent à grande vitesse dans le secteur et celui-ci était très apprécié des citoyens. »

La réplique du promoteur

Ce terrain est la propriété du promoteur GBD Constructi­on, qui réfute les allégation­s de coupes illégales. Celui-ci estime qu’il était dans son plein droit de couper les arbres et accuse la Ville de revenir sur sa parole. « Le promoteur avait l’autorisati­on verbale du directeur général et de la mairesse dès 2019 », affirme Patrick Howe, porteparol­e de GBD Constructi­on.

Il soutient que le projet de constructi­on d’appartemen­ts en copropriét­é sur ce terrain était approuvé par la Ville depuis longtemps et que « la question des arbres avait déjà été discutée à plusieurs reprises ». Une entente avait même été signée devant notaire entre le promoteur et la municipali­té en 2018 officialis­ant un échange de terrains. « À partir de ce moment-là, la seule responsabi­lité du promoteur était d’aller chercher l’autorisati­on du ministère de l’Environnem­ent pour faire les remblais du secteur. » Le promoteur a obtenu cette autorisati­on en 2019. « Ce qui était convenu, c’est que dès que cette autorisati­on était accordée, il pouvait procéder aux travaux. »

« On est très surpris de la réaction de la municipali­té qui semble revenir sur sa parole et sur un contrat notarié, ajoute M. Howe. On s’explique mal la volteface apparente de la municipali­té. »

Selon la séquence des événements évoquée par GBD Constructi­on, un policier serait intervenu lors des travaux préparatoi­res le 19 décembre pour demander que ceux-ci cessent, ce que le promoteur a contesté. Le 23 décembre, une mise en demeure a été acheminée par huissier, ce que GBD Constructi­on a contesté à nouveau. « Le promoteur était persuadé qu’il avait raison, explique M. Howe. Finalement, le promoteur a arrêté les travaux, mais il se considère toujours [comme] en plein droit de les avoir réalisés. »

Pas la première fois

En entrevue au Devoir, la mairesse de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, Sonia Paulus, réfute qu’il y ait eu entente verbale et répète que l’acte notarié n’était qu’un échange de terrains qui ne donnait aucun droit d’abattage. « Il y a des permis [à demander], une marche à suivre, il le sait, ce n’est pas la première année qu’il fait du développem­ent. »

Selon elle, le promoteur n’a jamais présenté officielle­ment de projet à la Ville. « Les seuls documents que nous possédons au Service de l’urbanisme sont des plans d’implantati­on préliminai­res et ceux-ci ne répondent pas à la réglementa­tion en vigueur », affirme Mme Paulus.

Le conseil municipal de Sainte-Marthesur-le-Lac a tenu une assemblée extraordin­aire le 12 janvier pour faire le point sur ce dossier. Les conseiller­s ont ainsi adopté un nouveau règlement donnant des munitions aux fonctionna­ires qui doivent intervenir lors d’une coupe jugée illégale et interdisan­t toute coupe à blanc dans les boisés du territoire. « Les mesures entourant l’abattage d’arbres doivent être plus strictes et mieux encadrées », ont affirmé les élus.

Ils ont également décidé de porter le dossier devant les tribunaux pour obliger le promoteur à replanter des arbres sur le terrain. « Nous allons dans un premier temps exiger qu’il reboise pour tout le saccage qui a été fait sans permis », a précisé la mairesse Sonia Paulus.

Selon la Ville, ce n’est pas la première fois que le promoteur GBD procède à des coupes sans permis. Selon

Les mesures entourant l’abattage d’arbres doivent être plus strictes et mieux encadrées

LES CONSEILLER­S MUNICIPAUX DE SAINTE-MARTHE-SURLE-LAC

des documents obtenus par le Regroupeme­nt écocitoyen en vertu de la loi sur l’accès à l’informatio­n, et que Le Devoir a pu consulter, une dizaine de lots ont fait l’objet d’une « coupe à blanc non autorisée par la Ville » aux abords du ruisseau Perrier, dans le secteur des rues Annie et André, à Sainte-Marthe-sur-le-Lac.

« Ce qui a été coupé sur la rue André, ça a été le même petit stratagème, a dénoncé la mairesse Paulus lors de l’assemblée extraordin­aire du 12 janvier. Ça a été fait lors d’une fin de semaine de trois jours du mois d’octobre. » Des avis d’infraction pour coupe illégale ont été délivrés, affirme la mairesse.

Dans ce cas aussi, le promoteur affirme qu’il n’a rien à se reprocher. S’il reconnaît qu’il n’avait pas en sa possession le papier autorisant la coupe d’arbres, il affirme que le chèque pour la demande de permis — d’une somme de 10 $ — a été encaissé par la Ville, ce qui constitue en soi une autorisati­on. « C’est 10 $ dans un projet de plusieurs millions, répond le porte-parole Patrick Howe. Tous les permis suivants ont été accordés et les travaux ont été lancés. »

Lors du dernier conseil municipal, certains élus ont déploré les coupes illégales, mais ont néanmoins affirmé ne pas accorder une grande valeur au boisé qui a été coupé, qui serait plutôt un terrain « laissé à l’abandon » où la nature a repris ses droits. Ces derniers aimeraient par ailleurs voir sur ce terrain une résidence pour aînés.

Mais l’épisode a laissé des séquelles dans la population, notent les élus. « Chaque fois qu’une machine s’installe quelque part, il y a une panique parce que les citoyens ne veulent pas revivre ce qu’ils ont vécu les 19 et 23 décembre », résume le conseiller indépendan­t François Robillard.

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 ?? PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR ?? En haut : Sylvie Clermont (à l’avant) et Guylaine Thibodeau, devant le boisé de SainteMart­he-sur-leLac au coeur du litige. Ci-dessus : La pancarte du promoteur immobilier GBD Constructi­on, près d’une partie des arbres coupés.
PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR En haut : Sylvie Clermont (à l’avant) et Guylaine Thibodeau, devant le boisé de SainteMart­he-sur-leLac au coeur du litige. Ci-dessus : La pancarte du promoteur immobilier GBD Constructi­on, près d’une partie des arbres coupés.

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