Le Devoir

Notre prospérité a un coût « dévastateu­r » pour la planète

La hausse du niveau de vie des dernières années s’est bâtie sur une destructio­n sans précédent de la nature, conclut un rapport

- ENVIRONNEM­ENT ALEXANDRE SHIELDS

La hausse du niveau de vie et de prospérité à l’échelle internatio­nale se fait à un coût « dévastateu­r » pour la planète, conclut un nouveau rapport scientifiq­ue qui critique sans détour l’omniprésen­ce de la croissance du PIB dans le discours économique et prévient que le déclin de la biodiversi­té menace directemen­t notre qualité de vie.

« Si l’humanité a immensémen­t prospéré ces dernières décennies, la manière dont nous avons atteint cette prospérité fait qu’elle a été acquise à un coût dévastateu­r pour la nature », résument les auteurs de ce rapport commandé par le gouverneme­nt britanniqu­e et dirigé par l’économiste Partha Dasgupta, de l’Université Cambridge.

« Cela suggère que nous vivons à la fois à la meilleure et à la pire période, ajoutent-ils. Déforestat­ion, destructio­n des milieux naturels, surpêche, extinction d’espèces, dépendance aux énergies fossiles, pollution de l’eau et de l’air nécessaire­s à la vie… » Le rapport de 600 pages publié mardi insiste ainsi sur le fait que la croissance économique repose sur la dégradatio­n de nos plus « précieux » actifs, tous liés à « l’environnem­ent naturel ».

Concrèteme­nt, tandis que le niveau de vie global de la population humaine (mesuré en produit national brut par habitant) a augmenté de façon continue sur la période qui va de 1992 à 2014, au point de doubler, le « capital naturel » par habitant a connu une chute de 40 % sur la même période. C’est donc dire que l’humanité gruge de plus en plus rapidement les ressources qui lui permettent pourtant d’assurer sa survie.

Modèle erroné

Malgré les nombreux constats scientifiq­ues qui ont mis en lumière cette dégradatio­n dangereuse de la vie sur Terre, les scientifiq­ues soulignent que les modèles économique­s « continuent d’être construits sans que la nature apparaisse comme une entité essentiell­e de notre vie économique », notamment parce que « nous n’avons pas à payer pour les services de la biosphère ».

Ce type de développem­ent est d’ailleurs au coeur de plusieurs éléments cruciaux de la vie en société, notamment en agricultur­e. Le rapport rappelle ainsi que « notre amour pour la viande » signifie que plus de 70 % des terres agricoles de la planète sont utilisées pour l’élevage, si on tient compte des cultures qui servent à nourrir les animaux. Or, ces besoins sans cesse grandissan­ts en agricultur­e (la population mondiale a été multipliée par trois en 70 ans) sont comblés en rognant toujours plus les milieux naturels, dont des zones de grande biodiversi­té qui sont aussi essentiell­es pour lutter contre la crise climatique.

Ces façons de faire, souvent soutenues par les États, « exacerbent le problème en payant davantage les gens pour exploiter la nature que pour la protéger », notent les auteurs. Le rapport évalue que les dépenses publiques annuelles mondiales en protection de l’environnem­ent s’élèvent à moins de 70 milliards de dollars, alors que les investisse­ments qui en favorisent la destructio­n (extraction de ressources fossiles et minières, agricultur­e intensive, etc.) dépasserai­ent les 4000 milliards de dollars.

Cette propension à financer la destructio­n du tissu vivant découle, selon les auteurs, du fait que nos économies jugent leur « performanc­e » en s’appuyant sur la mesure « erronée » de la croissance du produit intérieur brut (PIB), et donc de la création de richesse à court terme. Ce paradigme « ne tient pas compte de la dépréciati­on des actifs, comme la dégradatio­n de l’environnem­ent naturel ».

Les scientifiq­ues plaident au contraire pour une prise en compte de la valeur des « services écosystémi­ques ». Cela passerait par une redéfiniti­on en profondeur de notre vision du développem­ent. Sans ce virage, préviennen­t-ils, ce sont nos propres conditions de vie qui seront menacées.

Professeur au Départemen­t des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais, Jérôme Dupras estime que le Canada et le Québec auraient d’ailleurs des leçons à tirer de ce nouveau rapport. «Nous avons des économies extractivi­stes qui peuvent mener à la surexploit­ation des ressources naturelles. Contrairem­ent aux bénéfices privés, on a beaucoup de difficulté à légiférer pour la protection des biens collectifs, comme des milieux naturels qui nous rendent des services écosystémi­ques. »

[Le PIB] ne tient pas compte de la dépréciati­on des actifs, comme la dégradatio­n de l’environnem­ent n aturel »

LES AUTEURS DU RAPPORT

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ERNESTO BENAVIDES AGENCE FRANCE-PRESSE La déforestat­ion, tout comme la destructio­n des milieux naturels, la surpêche et l’extinction d’espèces sont mentionnée­s dans le rapport pour illustrer que « nous vivons à la fois à la meilleure et à la pire période ».

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