La quarantaine à l’hôtel en voie d’être contestée
Des groupes de défense des droits planifient de remettre en cause la mesure devant les tribunaux
Des groupes de défense des droits constitutionnels se préparent à contester la quarantaine obligatoire à l’hôtel que compte imposer bientôt le gouvernement Trudeau. Car enfermer les voyageurs sans exception comme s’ils étaient dans des « hôtels prisons » enfreindra plusieurs de leurs droits fondamentaux, arguent ces organismes au Devoir.
Le gouvernement fédéral a annoncé vendredi que les Canadiens qui reviendront au pays seront soumis au cours des prochaines semaines à une nouvelle quarantaine surveillée dans des hôtels désignés. Ils y resteront trois jours, le temps d’obtenir le résultat d’un test de dépistage de la COVID-19 qu’ils subiront à leur arrivée dans un aéroport canadien. Ceux qui obtiendront un résultat négatif pourront terminer leur isolement de
14 jours à la maison. Les autres seront envoyés dans des centres de santé publique qui n’ont pas encore été définis par Ottawa.
« Si le gouvernement ne prévoit pas d’exceptions appropriées, qui protègent les droits des personnes qui ont besoin de voyager en ce moment, nous sommes disposés à nous adresser aux tribunaux », prévient Christine Van Geyn, la directrice des litiges de la Canadian Constitution Foundation (CCF).
Cette dernière estime qu’une quarantaine obligatoire à l’hôtel enfreint le droit de tout citoyen prévu dans la Charte des droits et liberté d’entrer et de sortir du pays ; le droit à la liberté et à la sécurité ; ainsi que celui d’être protégé d’une détention ou d’un emprisonnement arbitraires.
« Vous pouvez restreindre des droits, mais ces limites doivent être justifiées », argue Me Van Geyn, qui n’a rien en revanche contre la quarantaine à domicile imposée en ce moment aux voyageurs. « Si les gens peuvent s’isoler seuls chez eux, cela devrait atteindre le même objectif de sécurité publique que ce que le gouvernement essaie de faire avec cette atteinte aux droits fondamentaux des citoyens », plaide-telle, en entrevue au Devoir.
La CCF souhaite voir les détails du plan prévu par Ottawa avant de se prononcer formellement. Mais elle réclame que des exceptions soient accordées pour les réunifications familiales ou les Canadiens partis à l’étranger pour avoir accès à un soin médical, par exemple. Si ces exemptions ne figurent pas au décret fédéral, la CCF ira de l’avant.
« Plusieurs appuient ces restrictions à la frontière. Mais beaucoup songent, lorsqu’ils y pensent, à une personne qui aurait voyagé pour aller en vacances et qui n’aurait peut-être pas usé de bon jugement étant donné qu’on est en pleine pandémie. Mais ce ne sont pas les seules personnes touchées. Il y en a plusieurs autres dans des situations déchirantes », fait valoir Me Van Geyn, qui affirme avoir été contactée par des centaines de personnes inquiètes, comme une mère de famille partie faire soigner son enfant aux États-Unis ou une autre personne qui y est allée pour les funérailles de sa mère.
Le premier ministre Justin Trudeau a cependant semblé rejeter d’entrée de jeu une telle série d’exemptions. « On va toujours être ouverts à entendre les préoccupations des gens, mais je souligne cette idée de base : ce n’est pas le temps de voyager. Et depuis les débuts de cette pandémie, il y a des gens qui ne peuvent pas être là pour des funérailles d’êtres chers. Il y a des mariages qui ont été reportés. Il y a des choses qui se sont faites de façon virtuelle », a-t-il rétorqué en point de presse à des exemples de cas particuliers semblables à ceux cités par la CCF.
« On va toujours essayer de voir s’il y a des cas extrêmes où on peut faire des petites exceptions. Mais même en faisant des exceptions au cas par cas, on ne va pas mettre à risque les Canadiens », a prévenu M. Trudeau.
Une source bien informée confirme que les propos du premier ministre préviennent qu’il ne faudra pas compter « sur de grandes exceptions ».
Un autre groupe de défense des droits constitutionnels prévient toutefois lui aussi qu’il a l’intention de contester la quarantaine supervisée.
Le Centre de justice pour les libertés constitutionnelles, un groupe de droite qui a déjà critiqué d’autres mesures sanitaires liées à la pandémie, estime aussi que « d’être enfermé quelque part contre votre gré pendant trois jours, c’est comme être en prison. C’est une violation de vos droits touchant votre liberté », dénonce en entrevue son président Me John Carpay.
Des hôtels déjà préparés
La date officielle de mise en oeuvre de la quarantaine supervisée de trois jours n’a pas encore été arrêtée puisque les détails doivent d’abord être réglés. Justin Trudeau a dit espérer que cela se fasse « dans les semaines à venir » et « avant que les gens commencent à voyager pour la semaine de relâche ».
En coulisses à Ottawa, on explique avoir déjà un gabarit à partir duquel travailler. Depuis plusieurs mois, les gens de retour au Canada qui sont incapables de prouver aux services frontaliers qu’ils ont un plan de quarantaine sérieux sont placés 14 jours dans des installations gouvernementales : des hôtels réquisitionnés par Ottawa dans 11 villes différentes. Leur transport vers ces sites est aussi assuré. Le tout aux frais d’Ottawa, qui a déboursé jusqu’à présent 65 millions de dollars à cette fin.
On s’inspirera de cette formule pour le nouveau programme. Les mêmes hôtels pourront être utilisés à Vancouver, Calgary, Toronto et Montréal, où seront désormais dirigés tous les vols internationaux.
Si les gens peuvent s’isoler seuls chez eux, cela devrait atteindre le même objectif de sécurité publique que ce que le gouvernement essaie de faire avec cette atteinte aux droits fondamentaux des citoyens
CHRISTINE VAN GEYN