Le Devoir

La convoitise vaccinale

- MANON CORNELLIER

L’Union européenne a causé un choc la semaine dernière en annonçant qu’elle mettait en place des mesures de contrôle des exportatio­ns de vaccins contre la COVID-19. À Ottawa, l’opposition est vite montée aux barricades. On craignait un ralentisse­ment encore plus prononcé ou carrément une interrupti­on des arrivages des vaccins de Moderna et de Pfizer/BioNTech.

Les assurances verbales offertes par les plus hauts dirigeants européens au premier ministre Justin Trudeau et à ses ministres n’ont calmé à peu près personne. Encore lundi, l’opposition exigeait un engagement écrit que le Canada ne serait pas affecté.

Mardi, le premier ministre Justin Trudeau a rappelé qu’en matière de relations internatio­nales, un engagement verbal, répété publiqueme­nt, avait autant de poids qu’un document écrit. Il en avait pourtant un à porter de main. Le matin même, l’Union européenne avait autorisé, en vertu de son système de transparen­ce, les deux premières exportatio­ns de vaccins contre la COVID-19, dont une vers le Canada, a appris Le Devoir de source européenne.

Quelques heures plus tard, en conférence de presse, la ministre des Services publics et de l’Approvisio­nnement, Anita Anand, a confirmé avoir été informée que les deux entreprise­s pharmaceut­iques avaient soumis les formulaire­s nécessaire­s. Par conséquent, environ 330 000 doses devraient arriver au cours des deux prochaines semaines et les deux entreprise­s devraient pouvoir livrer le reste des doses attendues durant le premier trimestre de 2021.

Les événements de la dernière semaine ont donné de multiples leçons au Canada et à d’autres pays. D’abord, qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même quand il est question de s’approvisio­nner en biens essentiels en temps de crise. Bien qu’il ne soit pas le seul dans cette situation, le Canada paie pour son manque de prévoyance en matière de production de biens médicaux et de vaccins. Ses capacités se sont étiolées au fil des quatre dernières décennies sans qu’on y mette un frein.

Il a fallu cette catastroph­e sanitaire pour qu’on s’y consacre de toute urgence. Les investisse­ments annoncés depuis le printemps dans la recherche, la production de matériel de protection personnel et la constructi­on d’infrastruc­tures de biofabrica­tion en sont les retombées. Il en va de même de cette annonce faite mardi de la conclusion d’un accord avec la pharmaceut­ique Novavax pour la future production au Canada de vaccins contre la COVID-19.

Une telle infrastruc­ture peut permettre d’éviter d’être la victime collatéral­e d’un nationalis­me vaccinal comme celui qui sévit actuelleme­nt. Il est normal que chacun veuille protéger sa population au plus vite, mais cela conduit actuelleme­nt à un accapareme­nt de la production initiale de vaccins par les pays riches alors que des pays durement touchés n’en verront pas la couleur avant des mois. L’Afrique du Sud, par exemple, vient tout juste de recevoir ses premières doses.

L’Europe n’échappe pas à cet état d’esprit, mais, contrairem­ent à ce que son dernier geste pourrait laisser croire, elle ne se fiche pas du sort du monde. Comme le Canada, elle est associée aux initiative­s internatio­nales de distributi­on équitable de vaccins contre la COVID-19. Ce n’est parfait ni pour l’un ni pour l’autre et les mesures prises par l’UE ne sont pas totalement désintéres­sées, mais ce n’est pas le Canada qu’elles ont dans leur ligne de mire.

L’élément déclencheu­r a été une manoeuvre de l’entreprise pharmaceut­ique AstraZenec­a. L’Europe n’a pas aimé que la compagnie invoque une capacité de production insuffisan­te pour expliquer une réduction radicale des livraisons de doses prévues vers l’UE cet hiver. Les contrats d’achat anticipé du vaccin par l’Europe visaient justement à accroître cette capacité de production.

Ce qui a encore plus mis le feu aux poudres est qu’AstraZenec­a maintenait pendant ce temps toutes ses livraisons vers la Grande-Bretagne. L’UE a donc exigé des éclairciss­ements. Insatisfai­te des réponses obtenues, elle a répliqué avec ce qu’elle appelle ses mesures de transparen­ce. Elle veut savoir combien de doses sont produites et où, combien sont distribuée­s et à qui.

Une des craintes de l’Union européenne était et demeure le détourneme­nt de doses qui lui sont destinées vers des pays qui acceptent de payer un prix plus élevé. Ce qui est le cas de la Grande-Bretagne. Personne ne le dit aussi crûment, mais le texte du nouveau règlement restera en place jusqu’à ce que « le risque de pénuries et de détourneme­nt » ait diminué. Le risque pour l’Europe d’abord, mais aussi pour les pays qui dépendent de programmes internatio­naux d’approvisio­nnement et, jusqu’à un certain point, pour les pays ayant conclu des contrats d’achat anticipé.

Personne n’aura raison seul de cette pandémie. Tout le monde est dans le même bateau et la solidarité entre les peuples et les nations est nécessaire. Pas seulement entre pays riches, mais entre pays riches et pauvres surtout. Ce qu’occulte complèteme­nt, soit dit en passant, l’obsession de certains politicien­s pour le classement du Canada dans la course à la vaccinatio­n.

Bien qu’il ne soit pas le seul dans cette situation, le Canada paie pour son manque de prévoyance en matière de production de biens médicaux et de vaccins

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